Avec « L’âge d’or de la peinture à Naples », le Musée de Montpellier aligne tous les maîtres qui se sont succédé dans cette grande ville longtemps espagnole.
MONTPELLIER - Alors que partout en France le niveau des expositions a baissé, le Musée Fabre à Montpellier étonne par l’ambition et l’intelligence de ses choix. Trois ans après celle sur l’influence du Caravage, qui a attiré 200 000 visiteurs, son directeur, Michel Hilaire, a monté une synthèse vivante de la peinture napolitaine du XVIIe siècle, avec le spécialiste incontesté, Nicola Spinosa, et le concours de chercheurs de l’Institut national de l’histoire et de l’art et d’élèves de l’Institut national du patrimoine, sous l’égide d’un autre Napolitain, Gennaro Toscano. Puisant dans les collections françaises, les commissaires ont aussi obtenu des prêts de la National Gallery de Londres et du Musée du Prado à Madrid, qui contribuent à une vision spectaculaire de cette production encore trop peu connue.
Au XVIIe, Naples était la plus grande ville d’Europe après Paris. Les souverains espagnols ont édifié des palais démesurés pour affirmer un pouvoir régulièrement contesté. Riche de congrégations religieuses, la capitale attirait les artistes étrangers : depuis le XVe siècle, rares, parmi les noms qui comptent, étaient ceux à être nés à Naples.
Le Caravage s’est arrêté deux fois à Naples, où il accentua la souffrance dramatique de sa peinture sacrée. Montpellier a obtenu le prêt du Saint Jean-Baptiste de la Galerie Borghese, d’autant plus émouvant qu’il l’emporta dans son ultime voyage à Rome. Chacun de ses séjours n’a pas excédé quelques mois. Il n’en a pas moins déchiré le voile du maniérisme qui recouvrait la ville, où ses innovations ont laissé une trace durable. Son disciple le plus précoce, l’un des plus inspirés aussi, fut Giovanni Battista Caraciollo, dit « Battistello ». Mais celui qui s’imposa comme l’artiste officiel était un autre émule, José de Ribera. Michel Hilaire parle de ce Valencien qui se fixa à Naples fin 1616 comme d’un « génie ». Fidèle à une simplicité de composition, il introduisit un style rugueux, qu’il allait progressivement affiner. Dans ses douze tableaux présents se retrouve la maîtrise du traitement des visages et des mains, qui est une des marques de la peinture locale. L’autre facteur d’identité, pour Nicola Spinosa, est cette puissante émotion religieuse, dominée par le quiétisme sous influence espagnole : « À Rome, la peinture peut affirmer la puissance triomphale de l’Église. À Naples, la cité est minée par l’instabilité, et le ton se fait plus intense. »
La revanche de la couleur
Longtemps la ville resta fidèle au naturalisme introduit par le Caravage, mais en altérant progressivement son contenu. Artemisia Gentileschi donna à cette empreinte un style plus direct. Elle collabora avec Massimo Stanzione, qui allait gagner en raffinement à la faveur de ses visites à Rome. La couleur tient une belle revanche dans son portrait de femme endimanchée tenant un coq. Ribera et Stanzione forment les pôles opposés de la tension entre réalisme et classicisme. Comme le rappela Harold Acton lors de l’exposition au Grand Palais sur la peinture napolitaine en 1983, la rivalité pouvait être féroce. Ribera est allé dans une église attaquer une peinture de Caracciolo à l’acide. Des assistants étaient brutalisés. Des maîtres appelés en ville pour réaliser des commandes, comme le Dominiquin, Guido Reni ou Annibal Carrache, eurent à la quitter précipitamment. Mais les Napolitains restèrent impressionnés par leurs effets décoratifs, aussi bien que par ceux obtenus par Cortone, Rubens, Van Dyck, les peintres de Venise ou les Français d’Italie tels Mellin, Poussin ou Vouet.
En 1656, la peste décima 60 % de la population, faisant disparaître Stanzione, le peintre de batailles Aniello Falcone ou son élève Bernardo Cavallino. Un peu plus tôt, ce dernier avait repris un grand topique du caravagisme : la tête coupée. Mais il habillait la meurtrière, qui la caresse, des drapés colorés d’un Vouet, sur fond d’un rideau de théâtre à la Véronèse. Le drame est évacué. Salvator Rosa, à la peinture aérienne, était aussi poète et musicien. Pour Spinosa (1), la venue en 1653 de Mattia Preti avec sa peinture monumentale « fut décisive » dans le basculement du grand Luca Giordano vers le baroque. Francesco Solimena poussa cette fuite hors du réel dans ses derniers retranchements, jusqu’au XVIIIe siècle.
(1) La pittura del Seicento à Napoli (éd. Arte’m, 2010), en deux volumes.
Commissaires : Michel Hilaire, directeur du Musée Fabre ; Nicola Spinosa, historien de l’art
Nombre d’œuvres : 86
Jusqu’au 11 octobre, Musée Fabre, 39, bd Bonne-Nouvelle, 34000 Montpellier, tél. 04 67 14 83 00, www.museefabre.fr, tlj sauf lundi, 10h-18h, entrée 10 €. Catalogue, coéd. Musée Fabre/Liénart (Paris), 464 p, 40 €.
Légende photo
Caravage, saint Jean Baptiste, vers 1609-1610, huile sur toile, 152 x 125 cm, Galerie Borghese, Rome. © Ministero dei Beni e delle Attività Culturali e del Turismo.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°439 du 3 juillet 2015, avec le titre suivant : Naples, du drame au décor