Infiltrer les médias avec des photographies anonymes, c’est-à-dire sans signature visible, tel était le but que s’était fixé Jean-Luc Moulène pour sa participation à la dernière Documenta.
D’étranges natures mortes, des nus, des objets livrés à l’espace soi-disant neutre du marketing publicitaire étaient apparus inopinément dans certains journaux et parfois sur les panneaux publicitaires des villes allemandes. En tant qu’images publiques, ces photographies couleurs, de l’avis même de l’auteur, constituaient des réponses aux conventions de la publicité. Dans cette série, Jean-Luc Moulène s’était aussi donné un autre but : révéler la mobilité et l’ambivalence de nos imaginaires face à la toute puissance de l’idéologie médiatique et commerciale. Pour rendre explicite cette ambivalence, il lui fallait trouver un intervalle, celui, poétique et visuel, prenant place entre l’imaginaire individuel (le rêve) et l’imaginaire collectif (les mythes, les rites et les symboles de l’économie). D’un côté, il disposait d’un vaste corpus d’images extrêmement codifiées – les publicités – avec ses produits, ses marchés dispensant continuellement des biens et des services, mais donnant aussi des émotions réglementées. De l’autre, il repérait les silences, les malentendus, les illusions, bref une multitude de détails souvent incohérents qui justement forment l’épaisseur de nos vies. Pour Jean-Luc Moulène, l’imaginaire résulte d’un rapport simultané entre la matérialité des choses – dénuée de toute symbolique – et nos fantasmes qui sans cesse tournent en dérision intime le prêt-à-porter du tout fictionnel (TV, médias...). Ses photographies transforment ce qu’elles saisissent en expériences privilégiées, en imaginaire libre de toute appropriation. Il était donc logique que ces images s’incarnent sous des formes multiples (affiches, publicités, imprimés, etc.). Aujourd’hui, dans l’espace vide de la galerie, de magnifiques tirages indiquent combien cet artiste est le chaman de nos rêves. Produire de l’enchantement à partir des catégories du réel est bien un acte éminemment critique. C’est une affaire de mots, d’images et de sources d’inspiration. C’est surtout la conviction que l’on peut produire des poésies politiques d’une réalité sociale ambiante.
Galerie Anne de Villepoix, jusqu’au 3 avril.
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Moulène, chaman de nos rêves
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°504 du 1 mars 1999, avec le titre suivant : Moulène, chaman de nos rêves