Huit artistes contemporains réactivent au Cateau-Cambrésis le vocabulaire matissien, fait de formes florales, de motifs d’inspiration mauresque, de tissage ou de papiers découpés. Avec plus ou moins de bonheur.
Le Cateau-Cambrésis (Nord). Tout va bien Monsieur Matisse. Le mérite de cette exposition qui met en scène des artistes contemporains se réclamant de près ou de loin de Matisse est de présenter un parcours très fluide. Une gageure, tant les univers imaginés par les huit créateurs, jeunes ou moins jeunes, réunis ici, sont différents. Pour ce faire, le commissaire, Thomas Wierzbinski, a exploité toutes les associations possibles entre le maître et les « suiveurs ». On y trouve les inscriptions de Ben – dont une a donné lieu au titre de l’exposition –, les couleurs chatoyantes de Marco Del Re, les citations visuelles d’Erró, les tissus rapiécés de Cherif Zerdoumi et de Geza Jäger Zerdoumi dits « KRM », les motifs ornementaux de Rania Werda…
Paradoxalement, les artistes dont les œuvres apparaissent comme les plus originales sont ceux qui s’éloignent le plus de la production plastique de Matisse. De fait, on reste plutôt indifférent aux blagues potaches de Ben – vu un peu partout – ou à cette encyclopédie ironique d’Erró, même si l’immense tableau venu de Reykjavik et entièrement dédié à Matisse est impressionnant (Matisse, 1991). De même, on peut trouver trop importante la place accordée à Marco Del Re, sans doute en hommage à ce peintre récemment disparu (1950-2019). Ses toiles, certes séduisantes, restent un peu trop décoratives.
En revanche, les réalisations de KRM [voir ill.] rappellent l’interêt de Matisse à la fois pour le Maghreb et la matière tissée. Les artistes, travaillant à quatre mains, récupèrent des étoffes qui servent aux nomades du désert pour la fabrication de leurs tentes ou encore des vêtements féminins abandonnés sur le terrain. Rapiécés, ces « déchets » de textiles se transforment en assemblages où l’épaisseur de la trame, les points de jointure ou les déchirures animent les supports. Entre collage et peinture, entre art et ethnologie, ces œuvres portent aussi les traces d’une culture en voie de disparition. Elles confèrent une épaisseur sensible au vécu et à l’Histoire, inscrits tels des stigmates dans les détériorations du tissu.
Rania Werda, une artiste tunisienne, s’inspire également d’une tradition non occidentale, celle de l’art islamique, riche d’enchevêtrements de motifs géométriques et végétaux. Formée par un artisan maroquinier, elle utilise le cuir comme support pour ses gravures où les figures féminines font corps avec un décor qui envahit toute la surface. Décor qui rappelle « les moucharabiehs ou le paravent mauresque ramenés du voyage au Maroc par Matisse », ainsi qu’on peut le lire dans le document de présentation destiné au public.
D’autres artistes complètent ce panorama matissien. Frédéric Bouffandeau découpe des formes florales dans le papier ou réalise des sculptures légères en aluminium coloré et plié, comme des papillons posés dans le jardin du musée. Ailleurs, Patrick Montagnac réalise un quasi-monochrome noir traversé par une ligne ondulante. Si le lien revendiqué avec les arabesques de Matisse est plutôt ténu, l’œuvre, de taille monumentale, ne manque pas de poésie. C’est déjà pas si mal.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°553 du 16 octobre 2020, avec le titre suivant : Matisse aujourd’hui