Justice

Le Musée Matisse du Cateau condamné pour des dommages sur des œuvres prêtées

Par Pierre Noual, avocat à la cour · Le Journal des Arts

Le 5 mars 2025 - 869 mots

Le Musée départemental Henri Matisse est responsable des détériorations de 13 œuvres prêtées et qui ont été mal encadrées par son mandataire.

Musée Matisse du Cateau-Cambrésis. © Reprosseced, 2004, CC BY-SA 3.0
Musée Matisse du Cateau-Cambrésis.

Lille. Les expositions temporaires ont pris une importance considérable dans la vie culturelle française. Pour satisfaire ces besoins, le recours aux prêts d’œuvres d’art par des particuliers (collectionneurs ou artistes) est fréquent bien que les risques soient nombreux : destruction, vandalisme, mauvaise conservation, etc. Tel est l’intérêt du jugement du tribunal judiciaire de Lille du 17 janvier 2025 que d’apporter d’intéressants rappels pratiques.

En l’espèce l’artiste tunisienne Rania Werda a prêté 14 de ses œuvres au Musée Henri Matisse (Le Cateau-Cambrésis) pour l’exposition « Tout va bien Monsieur Matisse ». Face aux dégradations de ses œuvres, l’artiste a mis en demeure le musée, appartenant au département du Nord, de procéder à l’indemnisation de son préjudice à hauteur de 150 000 euros. N’ayant pu trouver une solution amiable, l’artiste a alors assigné le département du Nord et son assureur en paiement de dommages et intérêts compte tenu de la dégradation irréversible de 13 œuvres sur 14.

Par principe, le prêt à usage est un contrat par lequel un prêteur livre une chose à un emprunteur pour s’en servir, à la charge de ce dernier de rendre le bien après s’en être servi (article 1874 du Code civil), et l’emprunteur est tenu de veiller raisonnablement à la garde et à la conservation de la chose prêtée (article 1880 du Code civil).

Dégradation des œuvres et responsabilité du musée

Aussi le prêteur qui se plaint d’une dégradation de ses œuvres, qui étaient à disposition de l’emprunteur, doit rapporter la preuve de celle-ci. Alors qu’il est traditionnellement recommandé de mettre en place un constat d’état des œuvres de manière contradictoire au lieu d’enlèvement, à l’arrivée et au lieu de retour de l’œuvre prêtée, le contrat n’en a pas prévu un. En se basant sur diverses photographies échangées entre les parties, les juges ont donc estimé que les légers froissements et ondulations étaient apparus entre l’état des œuvres aux départs du domicile de l’artiste et celui à l’arrivée au musée après leur encadrement par une personne mandatée par le musée. Surtout l’artiste n’ayant été réellement informée des désordres que plus d’un an après le début de l’exposition, cette tardivité constitue une faute pour les juges lillois.

Œuvre de Rania Werda prêtée pour l'exposition « Tout va bien monsieur Matisse » au Musée Matisse du Cateau-Cambrésis, gravure et impression sur cuir, 80 x 80 cm. © Rania Werda
Œuvre de Rania Werda prêtée pour l'exposition « Tout va bien monsieur Matisse » au Musée Matisse du Cateau-Cambrésis, gravure et impression sur cuir, 80 x 80 cm.
© Rania Werda

Pour tenter de s’exonérer, le musée et le département ont tenté de démontrer que les dégradations étaient liées à l’usage du cuir animal comme support des œuvres par l’artiste. En effet « si la chose se détériore par le seul effet de l’usage pour lequel elle a été empruntée, et sans aucune faute de la part de l’emprunteur, il n’est pas tenu de la détérioration » (article 1884 du Code civil). Cependant, ces derniers n’ont pas été suivis dans leur raisonnement. En s’appuyant sur un rapport d’expertise amiable, les juges ont estimé que le cuir était susceptible de réagir significativement à la gravité et aux conditions dans lesquelles cette matière vivante est encadrée et l’artisan mandaté par le musée aurait dû s’adapter à cette contrainte. Dès lors « le Musée Henri Matisse, administré par le département du Nord, a commis des fautes dans la conservation des œuvres prêtées » et « le département du Nord doit répondre des dommages causés aux œuvres » puisqu’il avait eu l’« intention de prendre sous sa responsabilité les œuvres dès la mise à disposition de celles-ci chez l’artisan encadreur ».

Or comment calculer le préjudice issu de la dégradation des 13 œuvres d’art ? Par principe, le juge décide au jour où il statue et ne peut donc pas apprécier la valeur des œuvres au regard du caractère volatile du marché de l’art. Toutefois, lors de la déclaration d’assurance, les parties ont estimé chaque œuvre à la somme de 4 000 euros. Aussi, les parties n’ayant pu rapporter aucun autre élément pour apprécier différemment cette valeur, le juge a donc fixé l’indemnité à hauteur de 52 000 euros en réparation du préjudice matériel de l’artiste (13 x 4 000 euros) et à 10 000 euros au titre du préjudice moral de l’artiste.

Contestation de l’assureur et responsabilité du département

En parallèle, l’assureur a contesté sa mise en cause du fait que la déclaration de sinistre du département du Nord aurait été tardive. Cependant, en matière d’œuvres d’art, la déchéance ne peut pas être opposée à l’assuré si elle ne fait pas l’objet d’une clause dans la police d’assurance (article L. 113-2, 4°, du Code des assurances). Or les juges ont révélé que la seule clause valable relative au délai de déclaration de sinistre n’était pas sanctionnée de déchéance en cas de déclaration tardive de la part du Musée Henri Matisse. En revanche, le préjudice moral n’étant pas couvert par la police d’assurance, le département du Nord sera le seul à garantir la somme due à l’artiste.

En conclusion, le présent jugement rappelle que signer un contrat de prêt n’est pas un acte anodin : les prêteurs et les emprunteurs doivent faire attention au contenu des clauses pour éviter toute déconvenue en cas de litige, notamment sur les délais de déclaration des sinistres auprès des assureurs. Au-delà, une attention particulière doit être portée au constat contradictoire d’état des œuvres puisqu’un simple échange de photographies à réception des œuvres n’est pas suffisant.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°650 du 28 février 2025, avec le titre suivant : Le Musée Matisse du Cateau condamné pour des dommages sur des œuvres prêtées

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