Si les collectivités et musées sont parfois réticents à assurer leurs fonds, l’investissement est moins élevé qu’il ne paraît. À condition toutefois de bien connaître ses collections.
L’assurance n’est pas encore un réflexe pour les collections publiques françaises. Coûteuse, compliquée, voire inutile, la police d’assurance des œuvres d’art traîne avec elle quelques préjugés auprès des décideurs publics. C’est lorsqu’un sinistre arrive que leur pertinence se révèle : à Menton (Alpes-Maritimes), les œuvres du Musée Jean-Cocteau submergées par l’eau de mer en 2018 ont pu être prises en charge par un assureur : un chantier de restauration à sept chiffres qu’une municipalité aurait eu le plus grand mal à financer. « Il existe une forme de méconnaissance du fonctionnement de l’assurance au niveau des musées publics, observe Stéphanie de Montricher, responsable du département Fine Arts de Liberty France. Les procédures de validation ne sont pas si simples dans la logique d’un marché public, et contraignantes d’un point de vue administratif et décisionnel. Cela complexifie la bonne compréhension de ce qu’il est possible de faire. »
Avec la multiplication des expositions temporaires, et les nombreux prêts qui vont avec, les musées publics sont néanmoins de plus en plus sensibilisés aux questions d’assurance : ces dernières sont inévitables lorsqu’un musée accueille le prêt d’une œuvre venue d’une autre institution ou d’une collection privée, en dehors du cas particulier des « accords de non-assurance » entre musées. Dans le budget de production des expositions, l’assurance ne pèse pas si lourd, comparée au prix exponentiel des transports, à la multiplication des loan fees [« frais de prêts »] ou aux coûts des matériaux pour la scénographie. Il faut compter 10 à 15 % du budget dans la plupart des cas, plus de 20 % pour une exposition avec de grands prêts internationaux, et jusqu’à 30 % pour la monographie d’une superstar de l’art contemporain dont la cote s’envole sur le marché de l’art.
Lorsqu’une collectivité assure déjà ses collections, le budget assurance des expositions temporaires en est d’autant mieux maîtrisé. « Nous avons un marché global pour les collections de nos musées, et nous payons des cotisations spécifiques à chaque exposition, explique Ricardo Vasquez, directeur de la culture au conseil départemental du Var. Le montant de cette cotisation pèse très faiblement dans la production de nos expositions, et le fait d’être une collectivité, d’offrir des conditions optimales de sécurité et un marché global nous permet de contenir ce budget. » Ce poste de dépense peut toutefois s’alourdir lorsque les prêteurs sont des collectionneurs ou des institutions privées : « Je conseille systématiquement à mes clients d’imposer leur propre assurance aux musées lorsqu’ils prêtent une œuvre », indique ainsi Romain Déchelette, président de Serex Assurances. « Il nous est arrivé de sentir que des prêts privés étaient survalorisés, relate Sophie Daynes-Diallo, directrice de la production au Musée national Picasso. Les expositions avec des prêts privés coûtent bien plus cher. » Pour un collectionneur, le prêt d’une œuvre est souvent l’occasion de faire monter sa valeur en la montrant : il rechigne à la voir sous-évaluée parce que ramenée au niveau des œuvres incessibles des musées.
Les collections permanentes doivent être dûment récolées pour que le fonds soit assuré à sa juste valeur. « Les musées n’ont pas forcément d’inventaires complètement à jour », observe Daphné de Marolles. Faute de temps, d’argent ou de moyens humains, la connaissance exhaustive de leurs réserves n’est pas simple à atteindre. Les musées neufs ou rénovés récemment sont souvent ceux dont les collections sont les mieux connues, à l’image du Musée des Confluences à Lyon (voir ill.), qui, pour sa collection pléthorique, a contracté une police d’assurance remise sur le marché tous les quatre ans. « Nous travaillons avec Flora, un logiciel de gestion des collections, précise Merja Laukia, directrice des collections du musée lyonnais. Il nous permet de donner les grandes lignes de la collection : on sait par exemple que nous avons 800 000 coquillages ; nous avons des données sur nos collections d’entomologie, d’ostéologie, de fonds asiatiques ou africains. » Autant d’informations indispensables pour une estimation précise de la valorisation des collections, et un calcul de la prime d’assurance le plus juste possible. « Plus le périmètre à couvrir est bien défini, moins on paye cher », résume Sophie Daynes-Diallo, qui a elle aussi une excellente connaissance des collections du Musée Picasso, permettant d’ajuster la prime.
D’autres musées décident de ne pas assurer tout ou partie de leur collection permanente. Selon Stéphanie de Montricher, « les musées privés ont en général tendance à assurer à hauteur de 100 % les objets dont ils ont la garde. Pour les musées publics, en revanche, les collections permanentes ne sont pas toujours, voire assez peu assurées à hauteur de 100 % de leur valeur ». La spécialiste observe une tendance consistant à assurer les fonds sur un « premier risque » : les musées demandent une garantie forte, à hauteur de 20, 50 voire 100 millions d’euros. « Il s’agit d’un montant qui n’est pas réel, mais qui permet de couvrir, selon les institutions culturelles, les premiers dommages qui pourraient survenir en cas de sinistre. »
Si Mathilde Duthoit-Michelet, souscriptrice Art et valeurs chez QBE, atteste que « l’assurance n’est pas le sujet prioritaire » pour les musées présentant un inventaire incomplet, elle note aussi que, depuis « une dizaine d’années, on peut constater un vrai progrès dans le récolement décennal », l’état des lieux précis d’une collection témoignant également, d’après elle, de la « bonne santé d’un établissement ». Pour preuve, les récents déboires du British Museum, à Londres, dont la méconnaissance de ses propres collections a créé les conditions idéales pour un vol en interne.
Les conservateurs-restaurateurs, un maillon essentiel de l’assurance des musées
Assurer – ou non – ses collections est une décision liée aux spécificités de chaque institution. Cependant, lorsque ces établissements se prêtent des œuvres, par exemple dans le cadre d’expositions, des polices d’assurance doivent obligatoirement être mises en place. Et pour cause : c’est pendant son déplacement et sa manipulation qu’une œuvre connaît le plus de risques d’être endommagée. Avant et après chaque déplacement, des constats d’état doivent donc être réalisés. Destinés aux assurances, ces documents contractuels attestent de l’état sanitaire d’une œuvre à chaque étape du transport. Ces fréquentes expertises et contre-expertises sont à la charge, la plupart du temps, de conservateurs-restaurateurs indépendants. « Les établissements ont besoin de nous pour les constats d’état car cela leur permet d’avoir un seul expert, qui n’est pas directement impliqué dans le contrat de prêt », précise Clémentine Bollard, présidente de la Fédération française des conservateurs-restaurateurs. Pour remplir le document de suivi de l’œuvre pendant l’intégralité de son séjour, les conservateurs-restaurateurs indépendants effectuent des visites périodiques sur les lieux d’exposition, ce qui inclut également la maintenance, l’entretien et le dépoussiérage des œuvres. « Nous pouvons alors faire des constats plus précis si un problème est décelé », ajoute Clémentine Bollard. Avec le nombre grandissant d’expositions, cette mission d’expertise a pris une place importante dans le travail des conservateurs-restaurateurs. Consultés par le Journal des Arts, les membres de la Fédération des conservateurs-restaurateurs sont 64 % à déclarer faire plus de constats d’état depuis le début de leur carrière : pour 13 % d’entre eux, c’est même devenu la source principale de revenus. Indispensables au suivi des œuvres prêtées par les assureurs, les conservateurs-restaurateurs sont aussi des assurés, qui stockent dans leurs ateliers des œuvres de grande valeur. Pour cette profession formée en majorité d’indépendants, parfois précaires, l’inflation des primes d’assurance due à l’envolée des valeurs n’est pas indolore : ils sont 82 % à faire état d’une augmentation de leurs coûts d’assurance. Ils témoignent aussi d’un certain manque d’information sur leurs contrats, bien que l’assurance soit un enjeu central dans leur activité : outre les centaines de milliers d’euros en valeur d’œuvres stockées dans leurs locaux, leur activité implique également une forte responsabilité civile professionnelle. « Une faute peut avoir pour nous des conséquences dramatiques, nous sommes un peu comme des chirurgiens qui doivent s’assurer pour prévenir un dégât consécutif à une erreur de jugement », compare Clémentine Bollard.
Héloïse Décarre et Sindbad Hammache
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Assurance des collections publiques : pas si cher !
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°619 du 20 octobre 2023, avec le titre suivant : Assurance des collections publiques : pas si cher !