Bien choisies, les œuvres d’Antoni Clavé sont à leur aise à l’Espace Paul-Rebeyrolle.
Dans la première salle de l’Espace Paul-Rebeyrolle, à Eymoutiers (Haute-Vienne), sont accrochés des toiles et collages de Rebeyrolle (1926-2005), dans des tons bruns. En face, c’est le bleu, couleur fétiche d’Antoni Clavé (1913-2005) qui domine, même si parfois il entre en guerre avec le noir – on songe à Miró. Miró et Picasso, deux compatriotes et sources d’admiration pour Clavé, qui naquit une génération plus tard. À l’instar de Picasso, Clavé n’admet aucune hiérarchie disciplinaire, pratique le bricolage et le recyclage. De fait, une sculpture telle que Drôle de tricycle (1986) aurait pu appartenir à un colporteur ambulant.
Clavé l'artisan
L’Espace, qui abrite un fonds d’œuvres de Rebeyrolle, est tout sauf neutre. Aude Hendgen, commissaire de l’exposition « Clavé », considère les deux créateurs comme deux amoureux de la matière. Ajoutant que « l’exposition se veut comme une invitation à entrer dans le monde de Clavé l’artisan ». Et pour cause, puisque ce dernier a suivi un trajet étonnant. Alors âgé de 14 ans, un apprentissage dans une entreprise en bâtiment lui permet de maîtriser parfaitement le trompe-l’œil. Le futur artiste « prend plaisir à utiliser des matières jusqu’ici laissées à l’écart : tissus usés, imprimés, macules, carton ondulé, coupures de journaux, étiquettes, papiers peints… », écrit Pierre Seghers (1).
Cependant, la mise en regard avec Rebeyrolle est éclairante. Malgré son « matiérisme », Clavé reste avant tout un peintre. Chez lui, les collages sont « à rebours ». Même si dans ses toiles des matériaux dégagent un aspect tactile – papier d’emballage, sacs, toile de jute, Encore des emballages (1977) –, ces éléments servent essentiellement à redoubler l’effet de plan. En d'autres termes, il s’agit dans ces œuvres d’une façon différente de faire de la peinture, d’organiser des formes, des couleurs et des matières que rien ne destinait à coexister dans un espace donné. Réseau multicolore posé sur un fond plus stable, tension que dégage le contraste entre les couleurs vives et les zones plus neutres, jeu entre des configurations géométriques irrégulières et des signes provenant d’une calligraphie secrète, personnelle…
Cet effet est surtout frappant dans la seconde partie de l’exposition, où des toiles immenses, toujours dominées par le bleu, sont construites – et déconstruites – à l’aide de gestes violents. Mais c’est dans les travaux avec des papiers froissés que la peinture entreprend un dialogue avec le collage. Ainsi, dans Don Servando en papier froissé (1976-1977), impossible de faire la part entre un véritable pliage et un trompe-l’œil, entre « tactilité » réelle et « tactilité » virtuelle. Peinture et collage (1975), serait-il autant un titre d’œuvre qu’un manifeste ?
(1) coauteur avec Pierre Cabanne d’une monographie parue en 1998 aux Éditions Cercle d’art.
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Matière à confrontation
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Abonnez-vous dès 1 €jusqu’au 27 novembre, Espace Paul-Rebeyrolle, route de Nedde, 87120 Eymoutiers, tél 05 55 69 58 88, www.espace-rebeyrolle.com, tlj 10h-18h, entrée 5 €. Catalogue, 54 p, 23 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°461 du 8 juillet 2016, avec le titre suivant : Matière à confrontation