ISSOUDUN
Les œuvres de l’Espagnol Antoni Clavé assemblent différentes matières que le peintre façonne à la manière d’un artisan.
Issoudun (Indre). Peinture ou assemblages, comment définir les œuvres d’Antoni Clavé (1913-2005), peintre majeur en Espagne, un peu oublié en France ? On le sait, dans la peinture, la visibilité règne sans partage ; rien ne doit distraire le regard du spectateur de l’essentiel : la capacité miraculeuse de traduire sur une surface plane le creux et le relief. Le principe bidimensionnel de la peinture qui a su transformer sa « platitude » en lettres de noblesse va de pair avec sa volonté de dissimuler toute trace des composants qui entrent dans sa production. Au début du XXe siècle, les papiers découpés, les collages sont les premiers signes qui annoncent un changement du rapport entre la réalité et la représentation. Viennent ensuite les assemblages qui introduisent avec violence le réel dans le domaine des arts.
Mais les temps ont changé. Désormais, la pratique de l’assemblage est devenue presque la norme. Ainsi, à juste titre, Aude Hendgen, commissaire de l’exposition et responsable des Archives Antoni Clavé, utilise au sujet de l’artiste espagnol le terme d’« assemblages réinventés ». Ainsi, les travaux de l’artiste, des toiles immenses, entament un dialogue complexe entre la peinture et la matière. Avec lui, on assiste à une manière étonnante d’associer deux pratiques quasiment opposées : le collage et le trompe-l’œil. Les « papiers froissés » qui apparaissent dans la deuxième moitié des années 1970 peuvent « tour à tour être […] de véritables papiers – enveloppes, journaux, papiers d’emballage – […] mais aussi de parfaits trompe-l’œil », écrit la commissaire dans le catalogue. On songe aux faux marbres ou aux faux bois de Georges Braque. Comme lui, par un détour pictural, Antoni Clavé revient sur le principe fondateur du collage : confondre les différentes strates de la représentation. Collage à rebours, opération échangiste entre peinture et matière ?
Certes, ce n’est pas toujours le cas : certains collages-assemblages de Clavé se rapprochent davantage de tableaux-reliefs, tant par l’importance que par la variété des éléments introduits (Instruments en carton, 1976, réalisés avec carton, bois, ficelles et peinture, ou Thursday October, 1989, technique mixte sur panneau). Cette attitude, il est probable que Clavé la doive à sa double formation ; apprenti peintre en bâtiment, il débute, non en tant qu’artiste, mais comme artisan. De cette expérience, il tire son rapport physique, tactile aux différentes matières, la connaissance et le plaisir de leur maniement. Ainsi, avec les sculptures-assemblages en bois, le collage se fait bricolage, jeu d’enfant retrouvé et revu par l’imagination de l’artiste. Drôle de tricycle (1986) est un bric-à-brac fait de bouts de bois et de métal, de ficelles et de clous. On pense au monde magique de l’enfance, à ces visites interdites d’un chantier déserté. Ou encore, pour reprendre un titre qui revient souvent chez Clavé, ce sont des « instruments étranges », des machines d’inutilité publique qui sont là pour nous intriguer.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°572 du 3 septembre 2021, avec le titre suivant : La peinture-assemblage d’Antoni Clavé