MARTIGNY / SUISSE
Le Musée d’art moderne de Paris a envoyé tout un pan de sa collection en Suisse pour y présenter la période fauve dans un beau désordre.
Martigny, Suisse. Pour monter les expositions de la Fondation Pierre Gianadda, Léonard Gianadda se fie beaucoup à l’amitié. « Il voulait que nous fassions quelque chose ensemble », dit simplement Jacqueline Munck, conservatrice en chef au Musée d’art moderne de la Ville de Paris (MAM) et commissaire de l’exposition. La collection Gianadda possède, entre autres, Venise, les îles de la lagune de Paul Signac (1905), La Femme à la grappe, Villa Demière d’Henri Manguin (1905), Portrait de Pierre Mouliet d’Albert Marquet (vers 1899-1900), la sculpture Le Fou de Pablo Picasso (1905) et le dessin Port de Collioure d’Henri Matisse (1905). Pourquoi, dès lors, ne pas s’intéresser au fauvisme auquel tous ces artistes sont plus ou moins liés ? L’intégralité ou presque des fauves du MAM a ainsi fait le voyage vers Martigny et la commissaire a cherché quelques œuvres supplémentaires pour compléter son corpus (certaines sont, depuis le vernissage, reparties vers d’autres expositions).
Montée rapidement, la manifestation est « bien dans l’esprit du fauvisme », avoue Jacqueline Munck. Il n’éclaire pas complètement le mouvement (d’ailleurs difficile à définir puisqu’il n’existait pas comme tel), mais se veut plutôt une évocation de l’effervescence qui s’est produite ces années-là. « Le fauvisme ne se réduit pas au Salon d’automne de 1905 avec son scandale bien organisé. La réalité est qu’il commence en 1898, à la mort de Gustave Moreau, au moment où tous les artistes qui en feront partie se sont déjà rencontrés. La décennie 1898-1908 est celle de la jeunesse de ces artistes […] alors qu’apparaît le code génétique de cette peinture nouvelle intégrant la question de la couleur pure qui avait été abordée par les néo-impressionnistes. » Ce que doit retenir le public est « la construction par la couleur et la simplification de l’espace ».
Le parcours est chrono-thématique, puisqu’il fallait bien assembler tout cela dans un certain ordre mais, les thèmes ayant été dictés par les œuvres et non l’inverse, l’approximation règne. Il faut se laisser porter comme dans une manifestation artistique où les juxtapositions arbitraires peuvent faire naître des éblouissements. L’étonnement s’invite tout de même dans la section « Filles » : pourquoi deux dessins d’Egon Schiele datant de 1910 et 1914 ? Parce que l’expressionnisme, auquel appartient l’artiste autrichien, est né en 1905 du mouvement général préexistant qui, en France, allait donner le fauvisme à la même époque. On doit lire le catalogue pour le comprendre. Il n’y a pas plus d’explications sur la présence en force de Georges Rouault, compagnon de route des fauves tout en revendiquant son indépendance, ni sur celle de sculptures africaines évoquant les recherches de certains fauves – André Derain est cité en exergue dans la salle et Pablo Picasso et Georges Braque ont flirté brièvement avec le mouvement. Les 120 œuvres de l’exposition n’étayent aucune démonstration. Espérons qu’elles aiguisent le regard et la curiosité des visiteurs qui en apprécient sans doute la beauté.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°616 du 8 septembre 2023, avec le titre suivant : À Martigny, fauves en liberté