PARIS
Le Musée de l’Orangerie s’attarde sur une période méconnue de Magritte. Meurtri par la guerre, l’artiste se tourne un temps vers l’impressionnisme calme et lumineux avant de reprendre une veine caustique.
Paris. Le moins que l’on puisse dire est que Didier Ottinger, conservateur en chef au Centre Pompidou, commissaire de l’exposition, cherche à renouveler le regard posé par l’histoire de l’art sur René Magritte. Après, « Magritte, la trahison des images » (2016), une étude intéressante sur les rapports de l’artiste belge avec la philosophie, il revient à la charge avec « Magritte / Renoir : le surréalisme en plein soleil ».
La présentation à l’Orangerie réunit des œuvres peintes entre 1940 et 1948, qui s’écartent de la veine surréaliste de Magritte. Méconnues, ces toiles ont été rarement exposées – hormis celles de la fin de cette période, dans un style que l’artiste qualifie de « vache », auxquelles le Musée Cantini de Marseille a déjà consacré une exposition en 1992.
Le caractère « solaire » des tableaux exposés ici est accentué par le contraste avec le côté sombre des travaux qui ouvrent le parcours : l’affiche réalisée pour le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes (1937) ou Le Présent (1939). Antifasciste, communiste, Magritte est profondément sensible à l’atmosphère pessimiste qui caractérise la fin des années 1930. Quelques jours avant l’invasion de la Belgique par les nazis en 1940, l’artiste fuit Bruxelles et s’installe à Carcassonne chez le poète Joë Bousquet. Exil de trois mois vécu d’autant plus difficilement que sa femme, Georgette, refuse de le suivre. De retour chez lui, Magritte fête les retrouvailles avec son pays et son épouse par Le Retour (1940).
Désormais, le peintre choisit de traiter, comme un remède à la situation catastrophique en Europe, une peinture joyeuse et lumineuse. Ainsi, il aborde, comme il l’écrit à Paul Éluard en 1941, des « choses charmantes, les femmes, les fleurs, les oiseaux, les arbres, l’atmosphère de bonheur, etc. » en faisant appel à la touche visible impressionniste. On a le droit de respecter la volonté du créateur belge de s’éloigner de « l’imagination du désastre » (Henry James). On peut également comprendre la raison de son attirance pour Renoir, emblème d’une œuvre centrée sur le plaisir et la félicité. Il est plus difficile de comprendre pourquoi, face à ce peintre parfois merveilleux qu’est Renoir, face à ses paysages aux couleurs saturées et ses scènes animées par la lumière, Magritte ait été séduit essentiellement par les représentations stéréotypées, dotées d’une beauté fade.
Et surtout, peut-on présenter cette production picturale mièvre comme un rejet audacieux de l’avant-garde, voire de la modernité ? La qualifier d’une postmodernité (inconsciente ?) avant la lettre ? « Revendiquant le kitsch pour programme, Jeff Koons désigne implicitement Magritte comme un pionnier » , affirme Ottinger. Koons sait de quoi il parle, car il est parmi les nombreux artistes qui font appel au kitsch, cette appellation contrôlée de niaiserie. Clin d’œil aux happy few , la complicité entre l’avant-garde et le mauvais goût promu genre n’est pas sans danger.
Les bouquets de fleurs placés dans la première salle auraient une place d’honneur dans n’importe quel marché aux puces. Certes, Magritte n’oublie pas totalement ses racines en attribuant parfois à ces œuvres des titres décalés, La Préméditation (1943) ou en introduisant un arbre disproportionné au milieu des fleurs, Leçon d’anatomie (1943). Pour autant, on est loin de l’imagination surréaliste et de son inventivité.
Il en va de même avec les femmes « à la Renoir », d’un décoratif parfaitement assumé. Là encore, on croise de temps à autre une image surprenante, comme La Moisson (1943, voir ill.), une version colorée à outrance du Nu couché de l’artiste impressionniste (1890-1895), ou La Liberté d’esprit (1948), une scène d’une étrangeté énigmatique. Le plus souvent, toutefois, ce sont des pastiches, des images faciles, aux expressions codées de la passivité et de l’alanguissement, un stock de représentations qui comblaient le public, des objets de désirs qui, métamorphosés esthétiquement, offraient toutes les garanties de jouissance accessoirement culturelle. Ottinger avance l’hypothèse d’un art populaire, parlant même d’un art « authentiquement communiste » , sous l’influence de Paul Nougé, fondateur du parti communiste belge. On a connu de meilleurs compliments.
Plus intéressants sont les dessins de Magritte où l’artiste retrouve toute sa verve et son sens de l’humour. Avec la Pipe-sexe (1943), le manche de la pipe est remplacé par un pénis – on n’ose pas évoquer l’expression en langue française à ce sujet… Ailleurs, une girafe a trouvé un habitat dans un verre à pied en cristal ( Le Bain de cristal , 1946). Ailleurs encore, une étiquette sur un pot annonce un délice inhabituel ( Confiture de cheval , 1945). Mais, c’est probablement avec le style « vache » – des toiles brossées à la hâte pour une exposition de 1948 – que Magritte s’exprime avec le plus grand mélange de violence et d’ironie contre le bon goût. Ces vingt-cinq huiles et gouaches sont de véritables parodies des œuvres fauves ou expressionnistes, dont le pathos frôle la caricature. La Famine (1948) paraphrase délibérément une œuvre célèbre de James Ensor quand Le Stropiat , de la même année, fait penser à une transposition de l’autoportrait de Maurice de Vlaminck en « bad painting ». Bref, une peinture vache.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°570 du 25 juin 2021, avec le titre suivant : Magritte l’impressionniste