VERSAILLES
Il y a trois siècles, le décès du Roi-Soleil fut l’occasion de réaffirmer la monarchie des Bourbons. Le château de Versailles remet en scène ces grandioses funérailles.
VERSAILLES - Le 1er septembre 1715, Louis XIV s’éteignait à Versailles, mettant fin à un règne de soixante-quatorze ans, qui a forcé l’admiration en dépit des indignités que Voltaire sut si bien résumer. Cette exposition spectaculaire présentée au château de Versailles retrace le rituel qui s’est alors déployé jusqu’à la cérémonie du 23 octobre 1715 à la basilique royale de Saint-Denis.
Le scénographe Pier Luigi Pizzi s’en est donné à cœur joie. Accompagné par la musique funèbre et le roulement des tambours, le visiteur est accueilli par une gigantesque machine de théâtre, qui est une reconstitution de la chapelle ardente. L’éloquence de cette mise en scène se justifie par la rareté des reliques qui ont survécu, à l’image de cet acte de décès paroissial que le Père Huchon avait égaré dans la confusion du moment. Un beau portrait par Jean Jouvenet de la marquise de Maintenon en veuve accablée a été prêté par une collection privée. De la Frick Collection (New York) est venu un buste de Louis XV en biscuit de Sèvres et du Palazzo Pitti (Florence) un jeune Louis XIII en costume de deuil cramoisi peint par Frans Pourbus. Car le rouge ou le violet étaient à l’époque les couleurs de deuil privilégiées des souverains, suivant un strict apparat codifié en fonction de la position sociale et des périodes. Ces semaines de grand deuil, demi-deuil ou deuil privé rythmaient alors la vie de la Cour, avant de s’espacer progressivement dans le siècle.
Le corps souffrant
Se trouve également présentée la plaque du cercueil en cuivre retrouvée chez un chaudronnier de Saint-Denis, qui l’avait démocratiquement recyclée en casserole. Il l’avait récupérée après la profanation de la nécropole royale de 1793 au cours de laquelle le visage de Louis XIV impressionna par sa noirceur. Peut-être avait-il été enduit de bitume, pour désinfecter un corps gagné par la gangrène. Le corps subit la coutume de la tripartition : les viscères extraits, pour être remplacés par des plantes aromatiques et des baumes favorisant la momification, et le cœur séparé du corps. Celui-ci fut exposé une semaine au salon de Mercure. Louis XIV, qui avait voulu simplifier les obsèques, pouvait être vu dans son lit, bonnet sur la tête. La translation du corps à Saint-Denis, par le bois de Boulogne, la foule assistant de nuit au cortège des officiers de la maison du roi à la lueur des flambeaux, dut quand même être très impressionnante.
Louis le Grand méritait bien son surnom par son courage. Il survécut à la rougeole, à la variole qui lui laissa un visage grêlé, et à une fièvre typhoïde qui lui fit perdre ses cheveux. À 38 ans, comme il souffrait d’abcès dentaires, les chirurgiens lui arrachèrent la moitié de la dentition supérieure. Ils lui ont alors fracturé le palais, créant une source d’infection, qui fut cautérisée au fer rouge. Il fut victime d’attaques de goutte, et, dans ses dernières années, de coliques néphrétiques et de calculs rénaux. Il manquait le moins possible à ses obligations et fit preuve d’abnégation lorsqu’il fut opéré en 1686 d’une hémorroïde thrombosée – devant une audience choisie, comme pour toutes ses activités quotidiennes jusqu’aux plus triviales.
Ce stoïcisme était exploité par une propagande aux accents doloristes. La revue Le Mercure galant justifia ainsi la « grande opération » : « ce prince voulait souffrir […] pour le bien et pour le repos de ses sujets ». Personnage christique, il est à la fois l’élu de Dieu et un corps souffrant. Le même propos fut repris à son décès, répondant aux directives de « la belle mort ». À l’époque, « mourir est un art », selon les termes de l’historien Bernard Hours dans le catalogue.
Louis XIV fit ses adieux à la Cour ainsi qu’à Madame de Maintenon. Il recommanda au futur Louis XV, âgé de 5 ans, d’éviter la guerre. Il aménagea une régence, qui fut bousculée par son neveu, le duc d’Orléans, dans un débat houleux au Parlement le 2 septembre.
Pour « le plus grand roi du monde » il s’agissait, rappelle Bernard Hours, « d’affirmer sa maîtrise des événements ». On y retrouve l’influence de la cour d’Espagne, qui était déjà sensible dans l’étiquette versaillaise. Le même auteur souligne ainsi l’impact du récit du décès de Philippe II par son confesseur, Diego de Yepes, publié en français avant même de l’être en espagnol, récit qui mêle la souffrance et la piété aux missions de l’État.
Commissariat : Béatrix Saule, directrice du Musée national des châteaux de Versailles et du Trianon ; Gérard Sabatier, professeur émerite des universités
Nombre d’œuvres : 278
Scénographie : Pier Luigi Pizzi
L’estampe a pris son envol tardivement en France, sous le règne de Louis XIV.
« Elle était bien sûr un instrument de propagande, mais cette expansion touche un grand nombre de domaines », fait observer Rémi Mathis. Il a monté, en collaboration avec le Getty Research Institute, « la première exposition, avec son catalogue, [d’]envergure », note son directeur, Thomas Gaehtgens. Cet essor s’appuie sur une variété de procédés de taille-douce, à l’eau-forte ou sur bois, laquelle autorisait l’impression de plusieurs dizaines voire centaines de milliers de feuilles, vendues de 5 à 10 sols, le salaire d’une demi-journée pour un ouvrier. Plus fine, la production de luxe se distinguait par des impressions de plus en plus grandes.
Cet avènement a été aidé par le statut libre du métier. Les premiers graveurs firent leur entrée à l’Académie royale cinq ans après sa naissance, certains peintres recommandant naturellement de les reléguer au second rang. Colbert et Le Brun ouvrirent un atelier royal, chargé notamment de représenter les batailles, les hauts faits et les bâtiments du souverain, dont l’image fut protégée. L’exposition présente un échantillon assez large de cette production, du panégyrique du roi aux placards de thèse, en passant par les jeux de société et almanachs. Elle a un caractère bien officiel, omettant la propagande des réformés ou la satire du pouvoir, dont l’essentiel fut détruit par la censure. Mais les portraits des puissants par Robert Nanteuil et ceux, plus humains encore, d’Antoine Masson témoignent d’un art porté au sommet. V. N.
« Images du Grand Siècle. L’estampe française au temps de Louis XIV »
Jusqu’au 31 janvier 2016, BNF, site François-Mitterrand, quai François-Mauriac, 75013 Paris, www.bnf.fr. Cat., coéd. BNF/The Getty Research Institute, 368 p, 55 €.
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Louis XIV, l’art de mourir
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 21 février 2016, château de Versailles, place d’Armes, 78000 Versailles, tél. 01 30 83 78 00, www.chateauversailles.fr, tlj sauf lundi 9h-17h, entrée 15 €. Catalogue, éd. Tallandier, 336 p., 45 €.
Légende photo
Reconstitution de la chapelle ardente de Louis XIV. © Photo : Château de Versailles/Didier Saulnier.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°447 du 11 décembre 2015, avec le titre suivant : Louis XIV, l’art de mourir