Conçu par l’architecte Renzo Piano, le Centro Botín de Santander est un centre de 10 000 m2 dédié à l’art et à la culture.
En édifiant ce bâtiment, Piano a réuni en un espace unique le centre de la ville avec les jardins historiques de Pereda et la baie. Planté sur le port, ce drôle de bateau se fond dans le paysage sans jamais arrêter le regard sur l’océan. Sa douce structure organique, exacte antithèse de l’œuvre de Gehry à Bilbao, est recouverte de 240 000 disques de céramique qui reflètent les effets changeants du ciel et de l’eau. C’est dans cet écrin sublime que sont présentées une centaine de sculptures de Joan Miró, ainsi que des dessins et des vidéos.
Miró est cet artiste complet par l’extrême diversité de ses pratiques, de la peinture à la céramique, de l’estampe à l’édition, du collage et de l’assemblage à la sculpture. Il est venu à l’objet vers 1924, au contact de ses amis surréalistes – « J’ai fait une série de petites choses sur bois, où je pars d’une forme donnée par celui-ci… » –, mais il n’a abordé les œuvres en trois dimensions qu’en 1929 et il l’a fait en toute liberté, sans se soucier du respect des règles d’une discipline qui n’était pas la sienne. C’est sans doute dans ses sculptures que l’on voit le plus l’influence qu’a exercé sur lui le surréalisme. En sculpture, il invente des objets comme il invente des signes en peinture. Le véritable début de Miró sculpteur a lieu pendant les années de guerre, dans la campagne de Majorque, quand, s’éloignant du surréalisme, il se rapproche de la nature. En sculpture modelée proprement dite, il réalise entre 1944 et 1950 une dizaine d’œuvres majeures de dimensions réduites, dont certaines seront retravaillées et agrandies pour devenir monumentales. Elles représentent six personnages, deux têtes et deux oiseaux aux formes stylisées ou plutôt recréées, modelées en glaise, en terre cuite ou en bronze. On observe ici l’un de ses personnages féminins qui se dresse avec force, massif, opulent, version inédite d’une vénus primitive, et deux oiseaux androgynes, à la même charge onirique : l’Oiseau lunaire, arrogant et agressif, et l’Oiseau solaire, aux identités changeantes selon l’angle de vue. Parallèlement au modelage, Miró se livre à des récoltes d’objets qui ouvrent la voie à une innombrable production de sculptures d’assemblages. Au fil de ses « glaneries », il se charge de toutes sortes de choses, bouts de bois, tuyaux, clous tordus, fragments de planches, souches d’arbres, morceaux de rochers qu’il associe à des objets populaires. Par la décision souveraine de l’artiste, ces objets rudimentaires sont élevés au rang d’objet d’art. L’objet choisi va trouver sa juste place dans son langage des signes, s’intégrer dans ses métamorphoses. Ce caillou extrait d’un éboulis subit une métamorphose par le seul fait d’être choisi et détourné de sa destination naturelle. Il change de nature, et nous ne le regardons plus du même œil. Régulièrement, Miró utilise un même objet dans plusieurs sculptures mais avec des fonctions différentes. Ainsi, un clou peut figurer le corps d’un personnage, puis les jambes d’une femme ou le cou de Lola. Le plus étonnant est que la grande majorité de ses sculptures, souvent en bronze, comme elles sont données à voir dans cette exposition, gardent une étonnante légèreté et, en les observant, on est frappé par la désinvolture de leur construction qui semble comme un défi à l’équilibre. Une sorte d’instabilité, de fragilité, qui provoque chez le regardeur de l’empathie. En réalité, par sa manière très particulière de sculpter, Miró se moque des apparences, des aspects de la technique. Il est l’héritier de la technique du collage. En pratiquant cet art, il ne veut rien prouver sinon l’exercice de la liberté. Et il va jusqu’au bout, cette exposition en est la preuve.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°713 du 1 juin 2018, avec le titre suivant : Libre comme MirÓ