L’étonnante modernité de Moï Wer

En moins de dix ans – entre 1927 et 1934 –, il réalise l’une des œuvres les plus inventives de sa génération. La Fondation Henri Cartier-Bresson accueille pour la première fois en France une exposition d’épreuves originales de l’artiste. Cent dix tirages du livre Ci-Contre, élaboré en 1931, stupéfiants de modernité, nous montrent un homme passé maître en cristallisation des lumières et des formes. Il n’hésite pas à développer jusqu’à cinq ou six négatifs superposés, empilant des motifs variés, des vues prises à la verticale ou en contre-plongée, des lignes d’horizon obliques, des cadrages improbables. Chaque double page de l’ouvrage associe deux ou trois images malicieusement réunies.

Qu’évoque la présence de cet énorme paquebot fortement incliné, aux trois noires cheminées fumantes, avec en surimpression une statue bouddhique arborant ses seins arrondis à l’exacte verticale de la poitrine de la jeune athlète du cliché placé en dessous ? Ou ces jambes de femme sans tête en vis-à-vis de deux photos de surfaces rocheuses terriblement tourmentées ? En contrepoint, huit clichés du ghetto juif de Vilnius prises en 1929 et cinquante et une photos réalisées en 1937 lors d’un reportage sur les fermes sionistes en Pologne montrent que Moï Wer savait aussi capter le silence ou la fulgurance de présences humaines dans la ville ou au travail, en toute humilité.