Avant Paris, la Hamburger Bahnhof accueille la première rétrospective consacrée à Carl Andre qui dévoile l’ampleur de champ d’un artiste moins homogène qu’il n’y paraît.
PARIS - La grandiose architecture de la nef de la Hamburger Bahnhof est telle que les œuvres qui y sont exposées soit s’y noient, soit s’en trouvent à l’inverse magnifiées. C’est ce second effet qui se produit dans le préambule dressé à la première rétrospective internationale consacrée à Carl Andre (né en 1935 à Quincy). À l’initiative de Philippe Vergne, alors qu’il était encore directeur de la Dia Foundation, le projet arrive en terre européenne à Berlin, avant Paris où il sera présenté au Musée d’art moderne de la Ville à l’automne prochain. C’est aussi la première exposition qui n’est pas installée par l’artiste américain lui-même, âgé de 81 ans, même si son entourage veille.
En quatre œuvres diverses dans leurs formes et matériaux (métal, bois, ciment) installées dans un parfait alignement, ce sont d’emblée tous les principes de base de l’art du sculpteur américain qui sont posés : horizontalité, définition de la sculpture comme lieu, usage de la combinaison et modularité de la composition, emploi de matériaux bruts pour l’essentiel. La première œuvre, qui assemble au sol 1 296 plaques composant 216 carrés employant six métaux différents – aluminium, plomb, fer, cuivre, zinc et acier – dans une combinaison à l’implacable logique mathématique affirme toutefois dès l’introduction que, tout rigide qu’il paraisse, le travail de Carl Andre intègre fort bien le mélange (6 Metal Fugue [For Mendeleev], 1995).
La sculpture comme un lieu
Pour toutes les pièces au sol, les prêteurs ont donné leur autorisation pour laisser le public les arpenter librement. Si cela relève de l’évidence chez qui la sculpture est considérée aussi comme un lieu, elle est de plus en plus difficile à négocier avec des institutions et des collectionneurs soucieux de la bonne conservation de leurs œuvres. L’expérience pourtant est essentielle, tant les ressentis ne sont pas identiques selon la nature de métal utilisé ou l’épaisseur des plaques ; ce qui complexifie encore le lien corporel avec l’œuvre induit par l’incursion de la verticalité du spectateur combinée à l’horizontalité. Dans les salles où sont réparties une cinquantaine de sculptures, le caractère industriel des lieux leur sied à merveille. S’y déploient des pièces de toutes périodes, avec des installations très précises et des rapprochements judicieux. Et toujours une implacable logique qui montre par exemple comment 120 briques disposées sur deux niveaux superposés peuvent être combinées de huit manières fort différentes, en dimensions et en proportion (Sand-Lime Instar, 1966). Mais ce qui frappe surtout ce sont les surprises auxquelles même l’amateur un peu au fait du sujet, ne s’attend pas. Comme Scatter Piece (1966), où dans une petite salle a été jeté au sol le contenu d’un sac fait de petits blocs de plexiglas et d’aluminium ou de billes de métal, dont l’ordonnancement va cette fois répondre du pur hasard. Un effort a été fait également afin de rassembler dans des cabinets des œuvres de jeunesse étonnantes, qui démontrent une grande curiosité, telles deux petites sculptures agrégeant des aimants. Ailleurs, une salle est consacrée à ce que l’artiste a qualifié de « Dada objects », soit des assemblages incongrus de petits objets, presque des conjonctions de ready-made teintés de surréalisme, comme un ressort de lit et une balle de tennis ou une bougie dans un escarpin féminin, et qui ont été peu exposés.
Avec 350 pièces l’ensemble est des plus copieux, même si tout n’est pas exposé en même temps. En effet, l’accent a été mis sur l’activité poétique, avec quelque 160 feuillets qui, pour des raisons de conservation, ne sont exposés que par moitié et donnent là encore à voir des formes et formulations très diverses, parfois même manuscrites. Curiosité encore que ce Passport, œuvre de 1960 photocopiée en 1970 et regroupées dans des classeurs, des sortes de notes visuelles qui s’enchaînent comme un assemblage hétéroclite de ses sources, ses influences, ce qui compose son univers. De tous côtés, Carl Andre ne cesse de surprendre.
Commissaire : Lisa Marei Schmidt
Nombre d’œuvres : 350
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L’espace radical de Carl Andre
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 18 septembre, Hamburger Bahnhof. Museum für Gegenwart
Invalidenstraße 50-51, Berlin (Allemagne), tél. 49 30 266424242
www.hamburgerbahnhof.de
tlj sauf lundi 10h-18h, jeudi 10h-20h, samedi-dimanche 11h-18h, entrée 14 €.
Catalogue (allemand), éd. Walter Koenig, 400 p., 39,95 €.
Légende Photo :
Carl Andre, Installationsansicht, Sculpture as Place, 1958-2010. Hamburger Bahnhof – Museum für Gegenwart – Berlin. © Carl Andre / VG Bild-Kunst, Bonn 2016 / Foto: Staatliche Museen zu Berlin, Nationalgalerie / Thomas Bruns
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°458 du 27 mai 2016, avec le titre suivant : L’espace radical de Carl Andre