Les voyages de mémoire de Zachmann

Du monde judéo-polonais de son père et de la déportation et de l’assassinat en 1942 de ses grands-parents paternels, il ignore tout. Le silence de sa mère sur son arrière-grand-père maternel, rabbin dans la région d’Oran, et sur son enfance en Algérie, est tout aussi tu. Comme tant d’autres juifs de cette époque, ses parents sont laïques et n’évoquent jamais le passé. La reconstitution de ces histoires enfouies est devenue la matrice de l’œuvre. Le récit à la première personne qu’en fait le photographe de Magnum au Musée d’art et d’histoire du judaïsme est subtil et émouvant. Son développement chronologiquement relate la reconstitution progressive de son histoire familiale par la photographie et le film, enquête indissociable d’un travail au long cours sur « l’identité juive “intérieure”, invisible » en France. Avant de pouvoir entamer un travail spécifique sur son père, en 1995, puis sur sa mère, seize ans plus tard, les détours ont pris en effet la forme de ramifications diverses. L’inconscient est puissant, et Patrick Zachmann le découvre, le partage dans ses textes qui jalonnent le parcours. Jusqu’au film Mare Mater, sorti en 2013, où il confronte l’histoire maternelle en Algérie et le rapport des migrants à la mer qu’ils traversent et à la mère qu’ils quittent, on le suit ainsi, pas à pas, dans ces « voyages de mémoire », menés de Jérusalem au génocide des Tutsis au Rwanda, attentif à ce qu’ils disent autant du présent que du passé.