PARIS
Les zones d’ombre sur la vie et l’œuvre de la photographe américaine s’éclaircissent. Avec la rétrospective présentée au Musée du Luxembourg se précise la lecture de son travail et de sa vie longtemps restés inconnus.
C’est d’un box de garde-meuble dispersé aux enchères pour cause d’impayés qu’a émergé, un jour de 2007 à Chicago, une œuvre inouïe. Quand John Maloof achète un lot de cartons pour 400 dollars, il en ignore la nature, comme, plus tard, Jeffrey Goldstein. Le jeune agent immobilier, photographe amateur, est à la recherche de documentation visuelle sur Chicago. L’archive photo qu’il découvre est considérable : des négatifs et des diapositives non développés et non légendés. Les quelques tirages présents dans les cartons le frappent néanmoins par leur style très personnel. De leur auteure, il ne connaît que le nom – Vivian Maier –, mais son talent ne fait aucun doute pour les experts qu’il sollicite. John Maloof mènera l’enquête un temps avec Jeffrey Goldstein pour reconstituer l’itinéraire de cette inconnue, emploiera des généalogistes pour rechercher les descendants et s’associera au galeriste new-yorkais Howard Greenberg pour la diffusion et la valorisation des photographies.
Depuis, expositions, livres et films se multiplient partout dans le monde, à l’instar de la rétrospective du Musée de Luxembourg et de la publication chez Delpire & Co de la biographie de l’Américaine Anne Marx programmées ce semestre. Deux autres expositions se profilent en février 2022 : l’une au Musée des beaux-arts de Quimper, l’autre au Musée de Pont-Aven. L’histoire de la photographe autodidacte surdouée, nourrice d’enfants pendant trente ans, morte dans l’anonymat en 2009, séduit comme la qualité – et le nombre – de ses images. Scènes de rue, portraits, autoportraits ou natures mortes : Vivian Maier excellait dans tous les registres, avec un sens de la situation et du cadrage original.
Née à New York en 1926, élevée en France dans les Hautes-Alpes avant de revenir dans sa ville natale en 1938, Vivian Maier est rentrée dans l’histoire de la photographie sans l’avoir recherché de son vivant. Du moins si l’on s’en tient à ce que l’on savait jusqu’à présent. Car ce point se précise comme tant d’autres. Dès les années 1951-1956 passées à New York, on sait désormais qu’elle essaie d’intégrer le milieu de la photographie, en particulier des photoreporters. Elle couvre ainsi des arrestations par la police et se rend dans des commissariats. « On s’était arrêté à une street photographer, l’œuvre s’avère un rhizome », souligne Anne Morin, commissaire de la rétrospective du Musée du Luxembourg et des expositions à venir en Bretagne.
De fait, Vivian Maier déjoue les enfermements dans un style. New York ou Chicago : Vivian Maier arpente les rues un appareil photo autour du cou, à l’affût de ce qui peut retenir son regard. Le cadre de vie ou de villégiature de ses employeurs constitue une autre source. Les premières photographies réalisées en France montraient déjà un œil aguerri. Aux États-Unis, il prend du mordant et ses champs d’investigation sont multiples. Elle s’intéresse en effet aussi bien aux personnes démunies et aux nantis qu’à la ségrégation de la société américaine ou aux événements politiques. L’autodidacte solitaire aime tout autant fréquenter les musées, les théâtres, les cinémas ou acheter des livres, notamment de photographie. Dans les archives de John Maloof désormais conservées à l’Université de Chicago, Anne Morin a découvert ainsi un livre de Thomas Struth des années 1980. De nouvelles photographies et des autoportraits inédits émergent également de ces archives, des films super-8 aussi comme des enregistrements audio. Coupures de journaux et photographies achetées en grand nombre dans des brocantes ou sur des marchés livrent d’autres aspects étonnants, tels ces quatre portraits de femmes, achetés on ne sait où, et qui lui ressemblent étrangement.
New York offre à Vivian Maier un panel infini de scènes de rue et de portraits dont elle se délecte avec une aisance époustouflante. Elle a 28 ans quand elle prend sur le vif, face caméra, cette jeune femme à l’élégance recherchée qui ne la voit pas. Vêtements, bijoux, prestance du visage, de la silhouette et de l’attitude imposent une présence qui tranche avec le regard absent et le flux de passantes à l’arrière-plan légèrement flou. L’image s’apparente à une photographie de mode des plus réussies ou à une scène d’un film américain.
Sans lieu, 1955
L’autoreprésentation est régulière dans la pratique photographique de Vivian Maier, et le sera jusque dans les années 1970. Ce n’est pas son portrait physiologique qui l’intéresse, mais l’image qu’elle peut réaliser à partir d’un miroir, d’un reflet ou d’une ombre portée. Le regard furtif et la situation de cette prise de vue transparaissent volontairement. Ils créent une atmosphère insolite que la photographe recherche. À l’arrière du miroir, doubles rideaux, voilage et blouse blanche d’une employée de maison ouvrent à toutes les interprétations quant au statut de la femme qui se mire. Vivian Maier en joue, l’œil malicieux.
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Les vies silencieuses de Vivian Maier
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°746 du 1 septembre 2021, avec le titre suivant : Les vies silencieuses de Vivian Maier