PARIS - En dzongkha – la langue officielle pratiquée par quelque 700 000 personnes dont plus de 10 000 moines –, Bhoutan se dit Druk Yul ou « pays du Dragon ».
Ce petit royaume situé à l’est de la chaîne de l’Himalaya, entre l’Inde et le Tibet, devenu monarchie constitutionnelle en 2008, n’est pas accessible au premier venu. Et il faut montrer patte blanche pour passer ses frontières, sans pour autant espérer pouvoir pénétrer dans les lieux sacrés, interdits aux touristes. L’exposition que lui a consacré l’Académie des arts d’Honolulu (Hawaï) et qui fait aujourd’hui escale au Musée Guimet à Paris est donc exceptionnelle à plus d’un titre. Elle dévoile une centaine d’œuvres d’art bouddhique, d’habitude jalousement gardées à l’abri des regards dans des monastères, temples et dzongs (monastères forteresses hébergeant la communauté monastique et l’administration civile du district), souvent isolés au cœur des montagnes. Les statues de bronze et thangkas (peintures sur toile à dérouler) ici réunies n’avaient jamais été montrées, pas même au Bhoutan, exceptées cinq pièces provenant du Musée national, dans la vallée de Paro. « Il s’agit de la première exposition sur l’art du Bhoutan à proprement parler. Auparavant, les manifestations – y compris le travail considérable réalisé par Françoise Pommaret, la spécialiste du sujet –, relevaient surtout d’une approche ethnologique », affirme Nathalie Bazin, conservateur au Musée Guimet et commissaire de l’exposition pour son chapitre français.
Lancé en 2003, grâce à Eddy Jose, restaurateur des peintures asiatiques de l’Académie des arts d’Honolulu, le projet a pris les allures d’une véritable expédition lorsqu’il a fallu récupérer les œuvres sur place. Le bronze doré figurant Vajrasattva, provenant de Dongkarla Künzang Chöling (petit temple situé sur un pic, non loin de Thimphu, la capitale du Bhoutan), descendu à dos d’homme au terme de huit heures de marche à une altitude supérieure à 4000 mètres en est une belle illustration. Il trône aujourd’hui au milieu de ses semblables en bronze et d’une soixantaine de thangkas. Les bronzes sont les pièces les plus anciennes et peuvent remonter aux VIIe-VIIIe siècles, tandis que les thangkas datent du XVIe au XIXe siècle. Comme il s’agit d’objets de culte, deux moines bhoutanais accompagnent l’exposition en permanence pour appliquer des rituels de purification, le matin et l’après midi. Ils étaient présents à l’ouverture des caisses et étaient les seuls habilités à manipuler certaines œuvres. Le parcours, qui démarre sous les auspices de la déesse assise Kongtesedemo, protectrice du bouddhisme, tente de cerner les spécificités d’une esthétique très proche de l’art tibétain. Le Bhoutan pratique lui aussi le bouddhisme dit tantrique ou « Véhicule du diamant » (Vajrayâna), forme ésotérique particulièrement complexe qui propose une voie rapide vers l’éveil et la libération de l’être.
Campagne de restauration
Les lignées de maîtres bouddhiques ayant joué un rôle de premier plan dans l’histoire nationale sont les seules figures qui permettent d’identifier avec certitude une œuvre bhoutanaise. Ainsi, Padmasambhava ou Guru Rinpoche (VIIIe siècle), Pema Lingpa (1450-1521), le célèbre « découvreur de trésors » (textes sacrés cachés), et surtout Shabdrung Ngawang Namgyal (1594-1651), qui a unifié le Bhoutan, sont les personnages récurrents des thangkas. Ils y sont représentés aux côtés de buddhas, bodhisattvas et divinités courroucées dans des compositions dynamiques fourmillant de détails. À l’image de cette peinture rougeoyante avec Heruka (émanation courroucée du buddha primordial Samantabhadra) en train de subjuguer des divinités autochtones, toile où l’on retrouve Pema Lingpa et Guru Rinpoche, accompagnés de nombreux laïcs, probablement des chamanes et oracles.
Conservées jusque-là dans de mauvaises conditions climatiques, les œuvres ont fait l’objet d’une intense campagne de restauration. Dès le début de l’aventure, l’Académie des arts d’Honolulu s’est engagée à former des moines au métier de la restauration et de la conservation. Une quarantaine d’entre eux ont déjà séjourné à Honolulu. La coopération doit durer jusqu’en 2015. Un inventaire national est également en cours ainsi qu’un programme de sauvegarde d’un patrimoine immatériel, élément essentiel de la culture bhoutanaise : les danses cham pratiquées lors de rituels bouddhiques. Concrètement, cela s’est traduit par un enregistrement vidéo de plus de 300 heures. Quelques extraits en sont diffusés au cœur de ce parcours inédit laissant entrevoir quelques-uns des trésors les plus précieux du pays du Dragon.
AU PAYS DU DRAGON : ART SACRÉ DU BHOUTAN, jusqu’au 25 janvier 2010, Musée Guimet, 6, place d’Iéna, 75116 Paris, tél. 01 56 52 53 00, www.guimet.fr, tlj sauf mardi, 25 décembre et 1er janvier, 10h-18h. Catalogue, éditions RMN, 50 euros.
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Les trésors de l’Himalaya
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Abonnez-vous dès 1 €ART SACRÉ DU BHOUTAN
Commissaire : Nathalie Bazin, conservateur du patrimoine, section Népal/Tibet du Musée Guimet
Nombre d’œuvres : 111
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°311 du 16 octobre 2009, avec le titre suivant : Les trésors de l’Himalaya