TILBURG / PAYS-BAS
Exotica, c’est l’intitulé de l’installation spectaculaire d’Anne et Patrick Poirier qu’on avait découverte en 2000 à la Biennale de Lyon : maquette géante d’une ville noircie par la suie, cité futuriste de carton et de trains électriques surplombée par un néon en lettres roses hollywoodiennes.
Une œuvre surgie aux confins d’un univers de fiction sous-tendu par un sens de la dystopie et du bricolage inventif, dans la lignée des paysages de ruines, métaphores de la mémoire, que le duo élabore depuis ses débuts. Exotica, c’est aussi le titre de cette rétrospective organisée par le De Pont Museum, la première d’Anne et Patrick Poirier à l’étranger, qui offre une approche limpide d’un parcours artistique commencé il y a cinquante ans à la Villa Médicis. Histoire d’un couple d’artistes qui crée à quatre mains, ce qui est finalement assez rare. Récit d’une passion pour l’archéologie, devenue un motif de création et de réflexion, une façon de regarder le monde. La configuration du De Pont Museum – une ancienne filature de laine –, dont le très vaste plateau principal est bordé de petites chambres aveugles, permet de jouer tout au long de l’exposition sur deux registres. D’un côté, les « archives » du duo constitué en « architecte », tout comme ses créations plus délicates – empreintes de sculptures sur papier japon (Stèles de la cathédrale à Bordeaux, 1973), série photographique des Paysages révolus (1974) et photogrammes de la série Fragility (1996) ; de l’autre, une perspective baignée de lumière naturelle de pièces aux dimensions souvent imposantes – Mnémosyne (1990), Danger Zone (2001)… Janus, double autoportrait à la blancheur marmoréenne, ouvre la marche : il a été conçu spécialement et a aussitôt intégré la riche collection de ce musée privé. Effigie surdimensionnée, cette sculpture – dont l’envers permet de contempler la psyché sublimée de chacun des deux artistes – traduit avec humour les multiples facettes de l’œuvre des Poirier,qui consiste avant tout à « placer le spectateur en face d’un monde poétique », résument-ils.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°719 du 1 janvier 2019, avec le titre suivant : Les Poirier, un demi-siècle de création fusionnelle