Roland Dorn et Walter Feilchenfeldt ont déjà eu l’occasion de démontrer la justesse de leurs analyses, notamment à propos de la Nature morte avec bouteille de vin, deux verres et une assiette de pain et de fromage (H 1121), datée de 1886 et conservée au Van Gogh Museum d’Amsterdam. Compte tenu de sa provenance, la collection de Théo, l’authenticité de cette toile n’avait jamais été contestée… jusqu’en 1993. Elle est aujourd’hui reléguée dans une galerie d’étude du musée.
Il y a quatre ans, Roland Dorn faisait remarquer que le style de Nature morte avec bouteille de vin, deux verres et une assiette de pain et de fromage semblait trop réaliste pour être de Van Gogh : "Le pain a l’air mangeable, le vin rouge buvable et l’argenterie brille". Selon lui, puisque l’œuvre provenait de la collection de Théo, elle avait pu être réalisée par un ami des deux frères. Cette hypothèse s’appuyait en outre sur un élément important : après la mort de Théo, en 1891, cette toile n’avait pas été répertoriée dans l’inventaire familial (non publié) des œuvres de Vincent. Quelques années plus tard, la veuve de Théo, Jo Bonger, affirma néanmoins qu’elle était de Van Gogh et le tableau lui fut depuis attribué à tort. Or, les techniques modernes d’analyse scientifique ont légitimé les doutes du professeur Dorn. L’image sous-jacente d’une femme est en effet apparue, à angle droit avec la nature morte, lors d’une radiographie faite il y a trois ans. Cette représentation cachée semble être un portrait en buste, très conventionnel, qui a "peu de points communs" avec un Van Gogh, concède Sjraar Van Heugten, l’un des conservateurs du Van Gogh Museum. Cette découverte a été faite lors d’une campagne de radiographie portant sur 130 huiles du musée d’Amsterdam. L’examen a révélé qu’une vingtaine de toiles avaient été réutilisées, mais seule la Nature morte a été déclassée. La toile a rejoint désormais les réserves du musée.
Un "peintre français assez en vue"
La couche picturale originelle a été grattée avant l’exécution de la Nature morte, ce qui rend difficile toute appréciation de la technique du tableau sous-jacent. Néanmoins, le cliché radiographique fait apparaître quelques traits de brosse dans le vêtement de la femme : "Bien que l’artiste ait semble-t-il travaillé rapidement, on constate ici un certain relâchement. La touche n’a ni la force, ni la structure de celle de Vincent", reconnaît Sjraar Van Heugten. Le conservateur ajoute que "d’un point de vue stylistique, il est effectivement difficile de situer cette toile dans l’œuvre de Van Gogh […] Seul le traitement du pain évoque la liberté de sa touche, alors que tout le reste se caractérise par une manière réservée, sinon terne. Il n’y a rien d’intéressant dans le fond. Quant aux verres, assiette et couteau, ils sont arrangés sans autre génie que la simple compétence technique." Puisqu’un autre artiste est l’auteur du portrait recouvert, conclut Van Heugten, cela confirme que la Nature morte n’est pas de Van Gogh, mais d’un artiste anonyme. Qui était cet artiste mystérieux ? Probablement un ami de l’un des frères Van Gogh, voire des deux. La nature morte a pu être donnée en cadeau ou échangée contre une œuvre de Vincent. Le style présente des similitudes avec celui de Van Gogh, ce qui laisse à penser que ce peintre anonyme devait être un artiste très proche de lui, à Paris. Roland Dorn cherche aujourd’hui à éclaircir ce mystère et pense qu’il s’agit d’un peintre français assez en vue. Il compte publier bientôt ses conclusions. Maintenant que cette Nature morte à la bouteille de vin n’est plus attribuée à Van Gogh, la question se pose pour une œuvre similaire, intitulée Assiette avec petits pains (H 1232). Cette autre nature morte, habituellement datée du début de 1887, provient également de la collection de Théo et se trouve au Van Gogh Museum. Elle est authentifiée par Jan Hulsker et figure dans le catalogue du musée de 1987. Dans cette toile, l’assiette est la même que celle du tableau déclassé et les petits pains sont traités dans un style très voisin. Le même artiste – pour l’heure, anonyme – pourrait donc être également l’auteur de cette toile.
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Les mises en examen se succèdent
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°39 du 30 mai 1997, avec le titre suivant : Les mises en examen se succèdent