À qui appartient « L’œil extatique » ? Au spectateur, toujours sidéré par l’escalier du Cuirassé Potemkine ou par la trayeuse de La Ligne générale ? Ou au metteur en scène Sergueï Mikhaïlovitch Eisenstein (1898-1948) lui-même ? L’exposition déploie la toile d’une filmographie qui relierait théâtre, photographie, sculpture, peinture… Des visages de Daumier répondent aux plans rapprochés d’Octobre, l’épilogue de La Grève résonne avec une représentation de Waterloo par Alexandre Protais… jusqu’à la dernière salle où le réalisateur soviétique, marginalisé par le régime de Staline, devient historien d’art.
Il élabore alors l’idée de « cinématisme », où le grand écran permettrait « de revisiter l’histoire de l’art depuis l’Antiquité selon des procédés cinématographiques (montage, découpage, cadrage…) ». Au cinéma, Disney voisine ainsi avec Greco et Tintoret et observe Toulouse-Lautrec ! Parmi les juxtapositions qui scandent le parcours, il est parfois difficile de distinguer ce qui relève de recherches dans les archives ou des écrits du cinéaste, de ce qui tient de la pure intuition des commissaires. La scénographie de Jean-Julien Simonot est en elle-même une mise en scène conçue comme un assemblage d’échafaudages. Référence au constructivisme, représentation du foisonnement structuré de l’esprit d’Eisenstein, on peut y lire aussi la folle histoire d’une Babel inachevée. La métaphore du destin d’un artiste mort à cinquante ans, foudroyé sur les plans d’un infini chantier.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°728 du 1 novembre 2019, avec le titre suivant : Les échafaudages d’Eisenstein
