Le Musée Condé de Chantilly expose des dessins rares de l’École de Fontainebleau : le « maniérisme », un art italien, autant que francilien.
Chantilly. Disparue, la galerie d’Ulysse du château de Fontainebleau ? Détruit au XVIIIe siècle, lorsque Louis XV prend possession des lieux, ce chef-d’œuvre du maniérisme vit toujours à travers les dessins et les travaux préparatoires de Primatice, peintre originaire de Bologne, dont de magnifiques exemples sont visibles dans le cabinet d’art graphique de Chantilly pour quelques jours encore. L’exposition « Le trait de la séduction… » puise dans les collections du Musée Condé pour esquisser, en quatre salles, l’histoire du maniérisme à la française. Un récit franco-italien, où des artistes venus de la Botte importent à la cour de François Ier un art fait de profusion et de sensualité, bien différent de l’inspiration flamande des Clouet, portraitistes officiels de la famille royale.
Dans la « nouvelle Rome » que François Ier rêve d’établir à Fontainebleau, les peintres italiens (Rosso Fiorentino dans un premier temps, puis Primatice et son élève, Nicolo dell’Abbate) adaptent les modèles de Michel-Ange à la Sixtine, ou de Raphaël dans les Stanze du Vatican. Les écoinçons de la salle de bal de Fontainebleau se peuplent ainsi de figures rappelant les « Ignudi » de la fameuse chapelle, ou l’Apollon du Belvédère, modèle antique des maîtres italiens de la Renaissance. Les sanguines préparatoires de Primatice révèlent ces filiations autant qu’elles font voir sa virtuosité singulière, dans un sentiment de faux désordre structuré par les courbes des corps. Les Anges montrant l’étoile des mages [voir ill.], sanguine préparatoire pour une commande privée – l’hôtel particulier du Duc de Guise – démontre toute la maîtrise technique de Primatice : contrastes lumineux, art du raccourci, harmonieux déséquilibre de la composition.
Mais si l’on vient pour le trait gras et sensuel des artistes italo-bellifontains, on repart du cabinet d’art graphique du Musée Condé conquis par l’assimilation de ces modèles par les artistes franciliens. Un peintre parisien du XVIe siècle, Baptiste Pellerin – à qui la recherche en histoire de l’art a récemment rendu un nom et une carrière – fera ainsi de Paris un foyer de la manière de Fontainebleau. Son allégorie de la géométrie – au trait plus assagi que celui de ses inspirateurs italiens, mais à la composition tout aussi savante et ingénieuse – trouve toute sa place dans le parcours.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°576 du 29 octobre 2021, avec le titre suivant : Les bonnes feuilles de la Renaissance bellifontaine