Avec une exposition sur les arts au temps de Charles VI, le Louvre entend montrer que crise politique et tarissement de la création artistique ne vont pas nécessairement de pair. La démonstration, en près de deux cent soixante-dix œuvres, dont certaines font l’objet de prêts exceptionnels, est éloquente.
Comme en témoignent tous les chroniqueurs de l’époque, c’est par un jour de très forte chaleur, en août 1392, que le roi Charles VI (1380-1422), décidé à marcher contre le duc de Bretagne, fut atteint d’une première crise de folie dans la forêt du Mans, au cours de laquelle il faillit « occire » son frère, le duc d’Orléans. Âgé de vingt-quatre ans, le fils de Charles V régnait déjà depuis douze années sur un royaume en guerre contre l’ennemi anglais. Ses crises de folie récurrentes allaient faire sombrer le royaume. En 1415, les troupes royales sont humiliées à Azincourt. Quelques années plus tard, c’est un roi à peine lucide qui déshérite son fils, le futur Charles VII, au profit d’Henri V d’Angleterre, en acceptant la signature du « honteux Traité de Troyes » (1420). D’un point de vue politique, le règne de Charles VI fut donc un désastre mais nullement dans le domaine des arts.
Pourtant, quelle est l’originalité de la création artistique sous le règne de Charles VI ? Ne bénéficie-t-elle pas très largement des retombées de la politique artistique de son prédécesseur ? Charles V, souhaitant renouer avec l’attitude de son prestigieux ancêtre Saint Louis, sut s’entourer des grands artistes de l’époque, sculpteurs, enlumineurs, orfèvres ou maîtres maçons. Mais Paris ayant montré à quel point elle pouvait être une ville dangereuse lors de la sanglante révolte d’Étienne Marcel (1358), c’est de Vincennes que Charles V voulut faire sa capitale. De 1361 à la mort du roi, les meilleurs artistes y sont convoqués. Sur ce chantier naîtra le dernier avatar de l’architecture gothique que le XIXe siècle a qualifié de « flamboyant », à cause des flammèches de pierre qui envahissent alors les verrières. Échec politique, Vincennes s’effacera très vite au profit de Paris. Les ateliers, eux, n’en étaient jamais partis. Et si les oncles de Charles VI poursuivent leurs rivalités jusque sur le terrain artistique, leurs commandes continueront d’être passées auprès des ateliers parisiens. « Le mouvement des artistes, venant de France, d’Italie, de Flandres ou d’Allemagne, demeure centrifuge vers Paris jusque vers 1415-1418, confirme Élisabeth Taburet-Delahaye, commissaire de l’exposition. C’est seulement après la défaite d’Azincourt, l’occupation anglaise et la disparition de grands commanditaires, comme le duc de Berry, qui meurt en 1416, qu’on assiste à un éclatement en différents foyers. » Le règne de Charles VI, pourtant resté dans l’ombre de l’histoire officielle, correspond donc aux derniers feux de l’art parisien, avant une dispersion vers la Touraine, la Normandie ou le Berry.
L’émail sur ronde-bosse
Si tous les champs de la création bénéficient de ce dynamisme, c’est toutefois l’orfèvrerie (ill. 1, 2, 3) et l’enluminure (ill. 6) qui vont connaître les évolutions les plus stupéfiantes. « L’art de cette époque se développe à partir d’un certain nombre d’éléments préexistants, tient à préciser Élisabeth Taburet-Delahaye. Mais certaines techniques, comme l’émail opaque sur ronde-bosse d’or, atteignent un point de perfectionnement jusqu’alors inégalé ». En témoigne l’extraordinaire Petit Cheval d’or d’Altötting ou Goldenes Rössl qui fait un retour remarqué au Louvre, palais qu’il a quitté voici près de six cents ans (cf. L’Œil n° 556). Pour cette exposition, le musée du Louvre peut s’enorgueillir d’avoir fait revenir à Paris d’autres pièces insignes, tel le Reliquaire de Sixte V, conservé en Italie dans le trésor de Montalto, une pièce plus intimiste, ou encore l’un des rares joyaux ayant appartenu au duc de Berry encore conservé aujourd’hui (Vierge à l’enfant, trésor de la cathédrale de Burgos, ill. 5). La coupe en or de sainte Agnès, offerte par ce même duc au jeune roi en 1391, n’a en revanche pas fait le voyage depuis le British Museum. D’aucuns pourraient regretter cette dispersion, mais c’est elle qui a probablement sauvé ces précieux chefs-d’œuvre de la fonte… Outre l’orfèvrerie, la présentation met en lumière le formidable talent des enlumineurs parisiens, dont les plus célèbres furent Jacquemart de
Hesdin, le maître de Boucicaut ou les frères Limbourg. Très en vogue chez les commanditaires, l’art de la miniature se nourrit, dans le contexte du « gothique international », de la venue d’artistes d’horizons différents, qui ont assimilé les nouvelles conquêtes spatiales. Mais ces manuscrits sont aussi progressivement envahis par les emblèmes héraldiques. Une preuve supplémentaire des liens inextricables entre art et politique, en cette période troublée.
« Paris 1400 : les arts sous Charles VI » se tient du 26 mars au 12 juillet, tous les jours, sauf le mardi, de 9 h à 17 h 30 et jusqu’à 21 h 30 les lundi et mercredi. Tarifs : billet jumelé avec les collections permanentes, 13 euros jusqu’à 18 h, 11 euros de 18 h à 21 h 45 ; 8,5 euros pour l’exposition uniquement ; gratuit pour les moins de 18 ans et le lundi à partir de 18 h.
PARIS, musée du Louvre, Ier, hall Napoléon, tél. 01 40 20 53 17, www.louvre.fr
« Les Très Riches Heures du duc de Berry : l’enluminure en France au début du XVe siècle » du 31 mars à fin juillet tous les jours sauf le mardi, de 10 h à 18 h. Tarifs : 10, 8 et 4,80 euros.
CHANTILLY (60), château, musée Condé, tél. 03 44 62 62 69, www.chateaudechantilly.com
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Les arts au temps du roi fou
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°557 du 1 avril 2004, avec le titre suivant : Les arts au temps du roi fou