Art contemporain

XXIE SIÈCLE / VISITE GUIDÉE

Le Bal explore les ressorts de l’hystérie collective

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 11 février 2025 - 669 mots

PARIS

« On Mass Hysteria » est le troisième chapitre du travail de Laia Abril, aboutissement de plus de dix ans d’enquêtes sur la misogynie.

Laia Abril, Identity Thief, série On Mass Hysteria, 2023, courtesy Galerie Les filles du calvaire, Paris. © Laia Abril
Laia Abril, Identity Thief, série On Mass Hysteria, 2023.
© Laia Abril
Courtesy Galerie Les filles du calvaire, Paris.

Paris. Depuis plus de dix ans, Laia Abril constitue « Une histoire de la misogynie explorant le contrôle systémique du corps des femmes à travers le temps et les cultures ». Présenté au Rencontres d’Arles 2016, le premier chapitre « On Abortion » consacré à la difficulté d’avorter dans différents pays du monde, et ses conséquences, avait révélé en France la démarche et le travail multidisciplinaire de la jeune artiste catalane, née en 1985 à Barcelone. Quatre ans plus tard, le second chapitre « On Rap » sur le viol, exposé à Paris, à la galerie Les Filles du Calvaire, restituait son enquête sur « les stéréotypes et les mythes fondés sur le genre, les préjugés et les fausses idées qui ont maintenu et perpétué la culture du viol ». À nouveau l’installation composée d’images, d’objets et de témoignages issus de ses investigations alliait un contenu et une mise en forme de ce dernier qui retenaient l’attention.

La présentation actuelle au Bal de « On Mass Hysteria », troisième volet de son récit sur la misogynie adopte la même méthode – enquête approfondie au long cours et restitution artistique sous différentes configurations engageantes et percutantes. Mais ici, l’enquête porte sur un sujet moins exploré, l’hystérie collective, et avec des moyens de production et d’accompagnement pour le réaliser privilégiés puisque réunissant le Musée de l’Élysée à Lausanne, Le Bal, le Musée de la photographie d’Helsinki et la galerie Les Filles du Calvaire.

Laia Abril, Mass Hysteria Folder #1 : France, 1400—1632 Nuns | Meowing and Trance-like State Epidemic, 2023, courtesy Galerie Les filles du calvaire, Paris. © Laia Abril
Laia Abril, Mass Hysteria Folder #1: France, 1400—1632 Nuns | Meowing and Trance-like State Epidemic, 2023
© Laia Abril
Courtesy Galerie Les filles du calvaire, Paris.

La mise en images, en son et en scène de documents, archives visuelles, témoignages de femmes, réactions de l’extérieur et travaux d’anthropologues, psychiatres, épidémiologistes ou spécialistes de géographie humaine entrouvrent à une lecture de ce sujet inédit dans le champ artistique tant au niveau de la cause et l’origine de ces hystéries collectives aux expressions diverses que dans son iconographie. La mémoire collective a en tête l’iconographie photographique relative aux travaux menés par le professeur Charcot (1825-1893) sur l’hystérie et à ses leçons données à l’hôpital de la Salpêtrière, passées à la postérité.

L’hystérie collective apparaît dans « On Mass Hysteria » de Laia Abril et les travaux de chercheurs sur le sujet auquel elle s’adosse comme l’expression inconsciente d’une aliénation ou d’une exploitation, « un protolangage de résistance », dit-elle. Les textes et entretiens du catalogue notamment celui avec Josephina Ramirez, anthropologue mexicaine des émotions, sont particulièrement éloquents. L’exposition, elle-même, l’est tout autant bien qu’à la différence du livre, le sous-titre retenu pour l’exposition « Une histoire de la misogynie » ne contient pas cet aspect de la recherche.

Une forme artistique pour chaque étude

De l’espace du sous-sol du Bal à celui du rez-de-chaussée, Laia Abril décline les différents aspects et conclusions de son enquête à travers un protocole et une forme artistique propres à chacun d’eux et à chaque fois d’une grande justesse. Les données compilées des 68 cas recensés par l’artiste dans cinquante pays du monde – de l’épidémie de miaulements et d’états de transe de religieuses en France entre 1400 et 1632 à celles récentes de tics de lycéennes américaines – se déclinent ainsi au long des murs du sous-sol sur des feuilles volantes présentées toutes de la même manière sur supports et pince en métal. Les trois études de cas, développées chacune dans un espace – telle celle de l’épidémie d’évanouissements d’ouvrières dans des usines de confection au Cambodge entre 2012 et 2022 –, obéit elle-même à une structuration identique reflétant d’un côté la réaction des médias et des autorités via un triptyque d’images d’archives parcourues, chacune d’un verbatim en rouge tiré d’un commentaire, et de l’autre l’interprétation de l’artiste en image des témoignages des femmes qu’une voix décline. Placée en épilogue, l’hypothèse émise que ces phénomènes d’hystérie collective soit une forme d’expression physique d’une résistance collective inconsciente à une oppression s’incarne encore plus nettement dans l’installation vidéo « Protestation de masse » juxtaposant épisodes filmés d’hystérie collective et vidéos de manifestations violemment réprimées de femmes dans différents pays pour le droit à l’avortement ou contre les féminicides

Laia Abril – On Mass Hysteria. Une histoire de la misogynie,
jusqu’au 18 mai, Le Bal, 6 impasse de la Défense, 75018 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°648 du 31 janvier 2025, avec le titre suivant : Le Bal explore les ressorts de l’hystérie collective

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