Danse & Théâtre

Le vestiaire gonflé de Decouflé

Par Mathieu Oui · L'ŒIL

Le 25 juin 2024 - 1104 mots

Depuis ses débuts, le chorégraphe fait souffler un vent de créativité sur la scène française. À Moulins, les costumes de ses spectacles révèlent un imaginaire débridé, une fascination pour le mouvement et la métamorphose du corps.

Des skieurs s’envolant dans le ciel, des échassiers bicolores, une ronde endiablée de patineurs, un homme-Icare inspiré de Léonard de Vinci… L’ouverture des Jeux olympiques d’hiver d’Albertville en 1992, véritable ballet terrestre et aérien signé Philippe Decouflé (né en 1961), a marqué deux milliards de téléspectateurs et propulsé le chorégraphe sur la scène médiatique. « Decouflé est unique : c’est un enfant du punk comme des années Mitterrand, de la mode comme de la pub, du Bauhaus comme de la danse moderne américaine », résume Philippe Noisette, critique de danse et commissaire de l’exposition « Planète(s) Decouflé » au Centre national du costume et de la scène (CNCS) de Moulins. Formé à l’expression corporelle, au mime, au cirque et à la danse, l’artiste nourrit son imagination débridée d’une pluralité d’influences dans lesquelles l’image est souvent centrale. D’autant que sa morphologie – il est grand et fin – l’éloigne des canons classiques de la danse. Qu’importe ! Le chorégraphe n’hésite pas à mettre en scène des danseurs atypiques, tel le comédien Christophe Salengro au grand corps dégingandé. Il transforme l’interprète du président de Groland en artiste tout terrain dans une demi-douzaine de collaborations.

Quarante ans de création

À travers une centaine de costumes, l’exposition au CNCS raconte en filigrane, quarante années de création chorégraphique de la compagnie DCA (Diversité, Camaraderie, Agilité). « La pièce Codex, présentée en 1986 à Avignon, constitue une sorte de matrice des œuvres à venir : Decouflé synthétise ses premières idées et crée son équipe », résume le commissaire. Au générique de Codex figurent notamment Christophe Salengro, le musicien Hugues de Courson (fondateur du groupe Malicorne) et le costumier Philippe Guillotel. Dans son riche parcours, l’organisation des cérémonies des JO de 1992 représente un cas à part, par l’ampleur de l’événement, sa médiatisation, son succès populaire et critique (« une grande gifle silencieuse », écrit le critique Serge Daney). Réunissant quelque 300 danseurs et acrobates, et autant de figurants, l’ouverture des JO célèbre la pureté du geste sportif et sa proximité avec la danse. Si Decouflé n’a alors qu’une poignée de spectacles à son actif, l’artiste a participé trois ans auparavant, à l’invitation de Jean-Paul Goude, au défilé du bicentenaire de la révolution dont il a signé la chorégraphie d’un passage. Chef de troupe « par défaut plus que par envie », Decouflé a collaboré avec plusieurs créateurs de costumes. Avec Philippe Guillotel, Jean Malo, Laurence Chalou ou Charlie Le Mindu, les discussions en amont des spectacles sont nourries : on s’échange idées et références. Avec souvent cette envie de magnifier le corps, comme par ces excroissances de bras ou de jambes des personnages de la série Codex, Decodex, Tricodex qui obligent les interprètes à modifier leurs mouvements. Surtout, l’artiste encourage ses collaborateurs à repousser leurs limites, en témoigne l’inventivité des habits de scène, la diversité de matières, de couleurs, l’humour et une dose de folie. Comme le souligne Jean Malo, « Decouflé a son regard qui s’allume dès qu’on lui propose quelque chose de nouveau ».

Microbe

« Le monde miniature est l’une des marques de fabrique de Decouflé », relève Philippe Noisette, commissaire de l’exposition. La figure du microbe apparaît très tôt dans son univers, à l’instar de ce costume qui évoque le virus VIH, porté lors de la cérémonie d’ouverture des JO d’hiver d’Albertville en 1992. Dans ce spectacle, apparaissent aussi des danseurs sur échasses : le chorégraphe s’amuse régulièrement à jouer des écarts de tailles, de distorsions visuelles ou d’échelles inversées.

Postiches

Portée pour le spectacle Octopus, variation baroque sur le corps et ses métamorphoses donnée au Théâtre national de Bretagne en 2010, cette cape et coiffe en longs cheveux noirs a été créée par Charlie Le Mindu. Créateur de perruques et de robes en cheveux, ce spécialiste de haute coiffure a travaillé pour l’univers de la mode et réalisé des extensions capillaires pour Lady Gaga ou Mylène Farmer.

Anneaux olympiques

Pour les cérémonies d’ouverture et clôture des JO d’hiver d’Albertville, Philippe Guillotel qui a signé 5 000 costumes et silhouettes, a beaucoup utilisé le rouge et le blanc, couleur de la Savoie et la symbolique des anneaux. L’exposition au Centre national du costume et de la scène à Moulins consacre une salle spécifique à l’événement avec une trentaine de costumes, disposés au sol et suspendus dans les airs.

Corps mutants

Dans la série commencée par Codex, (suivi de Decodex et Tricodex), le costume enrichit le corps de multiples extensions et dessine des personnages fantasmagoriques. Pour cette œuvre matrice créée en 1986, le chorégraphe s’est inspiré du Codex Serafinianus, encyclopédie imaginaire ou « précis d’analphabétisme » de l’artiste Luigi Serafini, constituée de dessins surréalistes, écrite dans une langue inventée par l’auteur et intraduisible. Et les coiffes tubes de Decodex puisent notamment dans les ballets aux formes géométriques d’Oskar Schlemmer.

Expérimentation de matières

Tuniques en tricot, combinaisons en latex, extensions en plastique et perruques de cheveux, carrés de soie transformés en kimonos, costumes gonflables… Les créateurs de costumes expérimentent jusque dans le choix des matières. Fabriqué pour Sombrero (2006), une création en hommage au cinéma muet et au western, ce long manteau est constitué de feuilles de papier collées entre elles. Dans ce spectacle, le chorégraphe portait une veste en papier qu’il déchirait chaque soir.

Queue-de-pie

Pour la cérémonie d’ouverture des JO d’Albertville en 1992, Philippe Guillotel, complice de la première heure du chorégraphe, conçoit ce personnage de musicien bizarre. La salopette en tissu matelassé et les ailes de la queue-de-pie sont retenues par deux ballons de baudruche. Cette tenue, synthèse entre la figure du clown et celle de Monsieur Loyal, rappelle l’importance du cirque dans les créations de Philippe Decouflé.

Métamorphoses

Pour Tutti, fantaisie conçue pour le Groupe de recherche chorégraphique de l’Opéra de Paris créé en 1987 à l’Opéra-Comique, on retrouve le goût de la métamorphose, cher au chorégraphe. Inspiré d’un film américain de série B, Les 5 000 doigts du Docteur T (Roy Rowland, 1953) autour d’un personnage de professeur de piano fou et maléfique, les danseurs se transforment en instruments de musique. Conçus par Philippe Guillotel, certains habits, branchés sur des aspirateurs, sont gonflables.

Tenues organiques

Représentation de squelettes, poumon surdimensionné, cœur humain brodé, figures d’écorchés… Le motif anatomique parcourt les créations chorégraphiques de Philippe Decouflé. Ce body en jersey de Jean Malo dévoilant, tel un scanner, l’appareil circulatoire humain, s’inscrit dans toute une panoplie d’évocations du corps. L’organe se fait parure ou bijou. Tailleur de formation, Jean Malo a signé le vestiaire d’une demi-douzaine de créations (Solo, Sombrero, Cœurs croisés, Octopus ou Stéréo).

À voir
« Planète(s) Decouflé »,
Centre national du costume et de la scène, Quartier Villars, route de Montilly, Moulins (03), jusqu’au 5 janvier 2025.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°777 du 1 juillet 2024, avec le titre suivant : Le vestiaire gonflé de Decouflé

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