PARIS
Le Musée d’art moderne de Paris laisse le visiteur imaginer librement ce que peut être l’histoire de la photographe.
Paris. Le regard d’abord se perd devant tant de photographies aux murs. On ne sait pas par où commencer. Le trouble cependant ne dure qu’un instant. Il suffit de s’arrêter sur une seule, une femme un jour d’hiver marchant dans le jardin des Tuileries suivie d’un chat par exemple, pour se laisser happer par le cours des images. Premières photographies de mode ou derniers instantanés, point de chronologie. Portraits, paysages, animaux, mis en scène ou non ; dates, commandes ou récits personnels ; photographies ou films : tout se mélange, résonne, se nourrit l’un de l’autre dans une esthétique du noir et blanc ou de la couleur qui n’appartient qu’à elle. L’univers visuel de Sarah Moon est un monde en soi imprégné de cinéma expressionniste allemand, de pictorialisme et d’esthétique des années 1930, de littérature et aussi du cours de sa propre vie.
La monographie proposée par le Musée d’art moderne, la première du genre, déploie un demi-siècle de création, dans un foisonnement de photographies et de formats différents transformant les espaces du musée en un récit d’instants de vie, de contes, d’ellipses et de paraboles. Les citations qui s’égrènent sur les murs de T.S. Eliot à Victor Hugo sont autant d’expressions de ce qu’elle ressent ou pense de la photographie, du temps, des contes…
« On est sûrement habité par tout ce que l’on aime », dit Sarah Moon. L’attente, le suspense, la fuite, la disparition, la fragilité de l’existence irriguent les images. Les figures de femmes graciles, au teint laiteux, d’animaux ou d’enfants dominent ; des paysages, des fleurs s’invitent ; sa voix dans les films raconte. Le regard porté sur ses photos ou ses films par Robert Delpire avec lequel elle partagea près de cinquante ans de vie commune s’exprime au travers de livres réalisés ensemble et un portrait de lui.
Le parcours n’obéit donc à aucun ordre chronologique y compris les films projetés dans des boîtes et qui donnent leur nom aux quatre chapitres. Seul le préambule raconte les débuts, les amitiés et les quelques moments marquants, telle cette photographie en contre-plongée des hortensias de sa maison, saupoudrés de neige, pris le jour de la mort de son assistant et ami proche, Mike Yavel. « To Mike, 1985 »énonce sobrement la légende. L’ellipse est souveraine chez Sarah Moon. Le monde fait mal. Et sa mise à distance n’est toutefois que relative. Images fixes ou en mouvement forment un jeu de miroir permanent de l’intime où réalités, fictions et temporalités se confondent. Comme la voix de Marguerite Duras, les images de Sarah Moon font entendre une voix reconnaissable entre toutes. Mais à la différence de l’auteur d’Un barrage contre le pacifique, Sarah Moon, née à Vichy en 1941 sous le nom de Marielle Sarah Warin, ne se raconte pas explicitement. Elle a toujours refusé les biographies. « L’enfance est un grenier auquel je n’ai jamais voulu trop toucher », dit-elle. « Photographier, c’est aller ailleurs. »
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°554 du 30 octobre 2020, avec le titre suivant : Le temps retrouvé de Sarah Moon