En exposant la magnificence du trésor de Naples, le Musée Maillol raconte la ferveur d’un peuple hanté par la mort.
PARIS - Les Napolitains l’appellent « le Busto ». Davantage qu’une œuvre d’art, c’est la mémoire religieuse de la cité, un réceptacle de superstitions et de croyances qui, selon la tradition, contiendrait les os de la tête de San Gennaro, le saint patron de la ville de Naples mort en martyr en 305, sous le règne de Dioclétien. S’il n’a pu faire le voyage jusqu’au Musée Maillol, à Paris, ce buste reliquaire datant de 1305 est présenté sous les traits d’une copie très fidèle. Et que voit-on ? Coulé dans le métal, un visage digne, sévère, majestueux, propre à inspirer la ferveur, la crainte et le respect tout à la fois. San Gennaro n’est-il pas censé protéger depuis des siècles les Napolitains de la famine, de la peste, mais aussi et surtout des colères intempestives du Vésuve ? Comme le résume Patrizia Nitti (qui confesse, non sans fierté, des origines napolitaines), « chaque matin les habitants de Naples se réveillent avec les morts, dialoguent avec eux, tentent de les apprivoiser ». Car on ne vit pas impunément dans une ville multimillénaire construite sur le magma d’un volcan en activité. L’angoisse sourd de façon souterraine, permanente. Et cette peur ancestrale se transmet de génération en génération, de famille en famille, de monarchie en république…
Offrant un rassemblement de pièces liturgiques d’une inestimable valeur, l’exposition du Musée Maillol délivre donc un message plus anthropologique qu’esthétique. Orchestrée par le designer Hubert le Gall (qui a su éviter l’écueil de la reconstitution académique), elle raconte de façon sensible la communion mystique d’une population avec son saint protecteur, le lien viscéral et quasi charnel qui l’unit à sa ville, païenne, laïque et chrétienne tout à la fois.
Propriété du peuple
Point de hasard si tous les écrivains ont succombé au charme envoûtant de cette cité tantôt sublime, tantôt lépreuse, capable de célébrer depuis des siècles le miracle du sang d’un saint censé se liquéfier trois fois par an.
Il fallait bien toute la folie d’une ville comme Naples et la grandiloquence théâtrale de ses citoyens pour mettre en scène un tel mystère. Dans un scénario digne de Fellini, le peuple de Naples passait le 13 janvier 1527 un contrat devant notaire avec San Gennaro dans lequel était stipulé que, en échange de sa protection, les Napolitains s’engageaient à lui constituer un trésor et à lui élever une chapelle dans la cathédrale. Préservé jalousement par les membres d’une institution laïque baptisée la Députation, ce patrimoine allait jouir ainsi d’un statut tout à fait exceptionnel : n’appartenant ni à l’Église ni à l’État, il allait rester au fil des siècles et jusqu’à nos jours la propriété intrinsèque du peuple de Naples…
C’est dire si le voyage en France de ces bustes de saints et saintes réalisés en argent par les plus grands orfèvres napolitains, de ces pièces liturgiques et de ces bijoux (dont un collier et une mitre d’une préciosité inouïe) relève de l’exploit ! Or ce petit « miracle », on le doit à la directrice du Musée Maillol, dont on connaît les liens privilégiés avec l’Italie. « Montrer Naples dans la crudité de sa chair, loin de tout stéréotype », tel était en effet le vœu le plus cher de Patrizia Nitti quand elle a décidé de monter cette exposition.
Accueilli par une procession de quinze saints patrons coulés dans l’argent et rehaussés de bronze doré, le visiteur perçoit ainsi d’emblée l’intensité affective qui lie les Napolitains à leur cité. Le visage baigné de larmes, le regard extatique basculé vers le ciel, sainte Thérèse d’Avila est déclarée elle-même « compatrona » de la ville de Naples en 1664. On prétend qu’un morceau de sa chair est contenu dans son buste. Protégeant la population des orages et de la foudre, sainte Irène arrête de sa main droite les éclairs. Tel un Héraclès de la chrétienté, l’archange saint Michel combat un dragon aux allures de « démone » qui se tord sous ses pieds… Le souffle de l’Antiquité palpite encore au cœur de cette vieille cité d’origine grecque. Il suffit, pour s’en convaincre, d’écouter les lancinantes mélopées des femmes qui accompagnent encore de nos jours les longues processions des statues au cœur de la ville. Comme un cordon ombilical reliant les déités chrétiennes aux obscures déesses…
Commissaires de l’exposition : Paolo Jorio, directeur du Museo del Tesoro di San Gennaro ; Jean-Loup Champion, historien de l’art
Direction du projet : Patrizia Nitti, assistée de Lauriane Gricourt et de Carmine Romano
Scénographie : Hubert le Gall
Nombre d’œuvres : plus de 70
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Le saint et le volcan
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 20 juillet, Musée Maillol, 59-61, rue de Grenelle, 75007 Paris, tél. 01 42 22 59 58, tlj 10h30-19h, le vendredi jusqu’à 21 h 30.
www.museemaillol.com
Catalogue, coédition Musée Maillol/Gallimard, 224 p., 35 €.
Légende photo
Carlo Schisano, Buste de Sainte Irène, 1733, argent, cuivre doré, 140 x118 x 80 cm, Museo del Tesoro di San Gennaro, Naples. © Photo : Matteo D’Eletto.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°413 du 9 mai 2014, avec le titre suivant : Le saint et le volcan