PARIS
Le Musée du quai Branly fait danser les chefs-d’œuvre du maître espagnol avec les formes stylisées des arts premiers dont l’intensité et la pureté ont nourri sa pulsion créative.
PARIS - Le terme est galvaudé, mais il n’en est pas de meilleur : les œuvres présentées au Quai Branly, de Picasso et celles dites primitives, sont exceptionnelles. Le visiteur peut avoir le tournis face à cette confrontation entre les pièces les plus remarquables d’Afrique, d’Océanie ou encore d’Amérique du musée et les magnifiques travaux de l’artiste espagnol, dont certains, en provenance de collections privées ou du Musée Picasso, ont été rarement montrées.
Pourtant, le début du parcours n’est pas une réussite : les murs sont envahis de panneaux explicatifs, qui retracent les rencontres entre les créateurs – Picasso en détail, mais aussi Derain ou Matisse – et les arts non occidentaux. Une fois n’est pas coutume, les organisateurs pèchent par un excès de zèle pédagogique, d’autant plus que cette chronologie est reproduite dans le catalogue.
Cependant, cette antichambre du savoir franchie, le visiteur a droit à une manifestation claire et intelligemment articulée. Les différentes sections, Archétypes, Métamorphose et Le Ça s’enchaînent parfaitement et mettent en scène des proximités visuelles fréquentes entre la production plastique de Picasso et les œuvres stylisées à l’extrême issues d’autres cultures.
Inévitablement, le thème qui domine partout est celui de l’être humain dans ses rapports aux autres, animaux inclus. C’est ainsi que l’exposition démarre véritablement avec l’homme débarrassé de tout attribut social, autrement dit avec le nu, une figure archétypale. Dans ce chapitre, Yves Le Fur, commissaire de l’exposition, met l’accent sur la verticalité qui caractérise les statuettes africaines et résulte de leur simplification. C’est d’ailleurs cette simplification qui transforme les corps, les réduit à quelques lignes de force, à des signes où la ressemblance cède la place à la suggestion. Peu, en effet, sépare La femme debout de Picasso (1930), une « tige » en bois à peine dégrossi, et la femme gabonaise à la tête disproportionnée, réalisée en bois noirci au feu. Outre la même matière, les œuvres partagent un même traitement géométrique – employé par Picasso dès 1907 –, une manière de faire disparaître l’aspect organique de la chair.
Suivent les métamorphoses, tel un jeu constant avec les formes et les objets que l’artiste pratique aussi bien dans sa peinture que dans sa sculpture et ses assemblages. Déformations, renversements, multiplication des angles et des points de vue, renversements et mises en abyme sont des opérations qui exigent tout le talent inventif de Picasso. Avec Trois figures sous un arbre (1907-1908), on distingue à peine les visages ovales des feuilles qui ont la même configuration. Mais, écrit Yves Le Fur, « ces systèmes se retrouvent dans de nombreuses œuvres des arts non occidentaux utilisées comme créateurs de magies visuelles ». Ici, un masque zoomorphe du Nigéria ou une poupée katchina koyemsi hopi (Nouveau-Mexique), faite d’objets récupérés, en sont des exemples frappants.
Toutefois, dans ce jeu d’hybridation, c‘est celle entre l’homme et l’animal qui aboutit aux combinaisons les plus étonnantes. Minotaures, centaures et autres bêtes humaines, ne quittent pas l’univers fantasmatique de Picasso. Comme dans tous les récits mythologiques, la virilité sans bornes, privilège des habitants de l’Olympe, va de pair avec leur capacité à se métamorphoser. Le choix de Picasso de s’inspirer d’un bestiaire naturel et imaginaire s’explique par sa volonté de revendiquer sa nature animale, de se donner toute la démesure d’un monstre aux instincts débridés. (Dora et le Minotaure, 1936).
Un primitivisme instinctif
La violence que dégage le Minotaure introduit le dernier chapitre de l’exposition dont le titre Le Ça, inspiré par la psychanalyse, renvoie à tous les désirs enfouis. Ici, Picasso s’attaque directement à la sensualité lisse et policée des nymphes qui peuplent l’histoire de l’art, en leur substituant un érotisme cru. Le corps et le visage de la femme se voient déformés, brisés, écrasés par la force vitale de l’énergie sexuelle. Si les canons du passé ne sont plus respectés, c’est que la violence tacite exercée par le peintre sur le nu féminin se radicalise ; tout se passe comme si le viol oculaire s’exhibait enfin au grand jour. Chez Picasso, la puissance érotique et esthétique, les pulsions agressives et le faire artistique ne font qu’un. Fantasme archaïque, qui se manifeste aussi dans une œuvre aborigène de l’exposition qui représente un couple humain en coït (Namatbara Groupe Ivatya, Île Croker, Australie). Dans cet acte de possession subite, ce corps à corps sans concessions, nulle illusion de dialogue, nul temps pour une conversation futile.
En somme, tout laisse à penser que le primitivisme de Picasso n’est pas uniquement d’ordre formel, mais surtout d’ordre émotif, voire existentiel. Mieux que personne, Picasso décrit ce qu’il ressent pendant la fameuse visite initiatique au Musée de l’Homme au Trocadéro en 1907 : « Alors, j’ai compris que c’était le sens même de la peinture. Ce n’est pas un processus esthétique ; c’est une forme de magie qui s’interpose entre l’univers hostile et nous, une façon de saisir le pouvoir, en imposant une forme à nos terreurs comme à nos désirs. Le jour où je compris cela, je sus que j’avais trouvé mon chemin ».
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Le Quai Branly sonde les racines africaines dans l’œuvre de Picasso
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 23 juillet, Musée du quai Branly-Jacques Chirac, 7 Quai Branly, 75007 Paris.
Légende photo
Affiche de l'exposition Picasso primitif © Musée du Quai Branly.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°477 du 14 avril 2017, avec le titre suivant : Le Quai Branly sonde les racines africaines dans l’œuvre de Picasso