Pour beaucoup d'\"Européens du Sud\"?, la Scandinavie constitue un ensemble à peu près homogène, une vaste région à l’identité commune. La réalité est pourtant tout autre sur le terrain, les échanges entre les cinq pays – l’Islande, le Danemark, la Suède, la Norvège et la Finlande –, n’étant pas aussi développés qu’ils pourraient l’être. Ainsi, alors qu’une véritable nouvelle scène apparaît dans des pays comme le Danemark ou la Finlande, il n’existe pas véritablement de mouvement porté par une jeune génération d’artistes en Norvège. Cependant, à l’image d’une culture américaine exerçant une très grande influence sur toutes les couches de la population nordique, les jeunes artistes participent aujourd’hui pleinement au mouvement de l’art contemporain international.
L’art dans les pays scandinaves s’est souvent nourri de thèmes intimement liés à une histoire locale, même si de nombreux artistes n’ont, au départ, atteint une certaine célébrité qu’en dehors des frontières de ces petits états. Aussi, la question de l’opposition entre culture globale ou locale a-t-elle toujours eu une grande pertinence pour ces créateurs. Depuis le début des années quatre-vingt-dix, les mentalités ont pourtant largement évolué dans les Pays du Nord. Une nouvelle approche, liant à la fois un monde artistique local et une internationalisation de plus en plus poussée, s’y est en effet développée. Face à un milieu artistique qui, traditionnellement, n’a jamais été très actif, beaucoup d’artistes ont décidé d’emblée de développer leurs propres réseaux à l’étranger et de créer directement à un niveau international. Face à des figures comme Per Kirkeby ou Erik Dietman – ce dernier étant installé en France –, un véritable groupe d’artistes nordiques est aujourd’hui dans le circuit de l’art contemporain, porté par une internationalisation de l’art qui tend à estomper l’importance de l’origine géographique des créateurs. Il n’existe d’ailleurs plus une capitale des arts, mais une multitude de centres d’importance plus ou moins similaire. Copenhague est ainsi devenue dans les années quatre-vingt une ville très active.
Loin du cloisonnement entre les disciplines trop souvent de rigueur dans notre pays, les artistes scandinaves, sur les traces de certains créateurs américains qui ont montré la voie dès les années soixante, se sont lancés dans des pratiques transversales. Les mass médias et le multimédia ont une importance accrue et apparaissent aujourd’hui comme des lieux propices à de nouvelles expériences esthétiques.
L’image est souvent reine dans ces supports, que ce soit à travers la photographie, la vidéo, le cinéma, le cédérom ou l’Internet. Certains de ces artistes sont plus spécialement proches du 7e art, comme la Finlandaise Eija-Liisa Ahtila. Ses œuvres, filmées en vidéo ou en 35 mm, se présentent presque sous la forme de courts métrages qui se réfèrent au présent. Elle y met en scène les relations entre les individus, propose des études de caractères et des analyses psychologiques des personnages. Le Danois Joachim Koester a également réalisé plusieurs projets inspirés par le cinéma, dans des œuvres où des influences variées – des films d’horreur à la Nouvelle Vague française – sont particulièrement sensibles. Sans remonter à Carl Theodor Dreyer ou à Ingmar Bergman, la création cinématographique est effectivement riche en Scandinavie, tradition que poursuivent aujourd’hui des cinéastes tels que Aki Kaurismäki ou Lars von Trier.
Phénomène d’hybridation général
Dans un style très international, les musiciens scandinaves sont très présents sur les ondes, depuis quelques années. Les groupes ABBA, Aha, Army of Lovers, Sugarcubes, Björk… ont eu, ou ont encore, un succès commercial planétaire avec leurs chansons. Aussi n’est-il pas étonnant que de nombreux artistes plasticiens intègrent de la musique dans leurs créations, quand ils ne font pas directement intervenir des musiciens, des compositeurs ou des chanteurs. Ainsi, Björk a participé à la réalisation d’une installation avec Jeremy Deller et Mika Vaino. Carl Michael von Hausswolff a lui aussi développé de nombreux projets, notamment de musique expérimentale, conçus comme des réactions au monde extérieur.
D’autres artistes en saisissent au contraire toute la poétique. L’Islandaise Ólafur Eliasson réalise de grandes photographies de paysages de son île, nature sauvage ou au contraire images d’usines polluant l’atmosphère de leurs fumées blanches. Car, en Scandinavie, la nature est très présente dans l’art. En Finlande, Esko Männikkö a plusieurs fois photographié les paysages et les habitants de la région de Kola, ces dernières années. Il s’est spécialement intéressé à la nature et à sa pollution, mais aussi aux gens et à leur mode de vie, mettant tout particulièrement en scène les défavorisés. La photographie, à côté d’autres techniques, est toujours employée chez Thorvaldur Thorsteinsson en liaison avec un contexte socio-politique.
Depuis le début des années quatre-vingt-dix, l’art nordique est saisi par un phénomène d’hybridation général, qui apparaît notamment dans le travail de Henrik Håkansson. Ce dernier s’est, par exemple, intégralement habillé en lapin dans la vidéo présentée à la galerie Tre, en novembre 1993. Dans le débat éternel entre nature et culture, entre monde animal et humain, le travail de Håkansson recherche davantage la part d’humanité chez les animaux que le côté bestial chez l’homme. Le simulacre et la contrefaçon sont encore des domaines qui intéressent principalement ces artistes. Le Danois Henrik Plenge Jakobsen invite les visiteurs à des expériences esthétiques éphémères, à des expérimentations multiples, en particulier physiques et chimiques. La Norvégienne Ann Lislegaard réfléchit précisément beaucoup à la relation qu’entretient le spectateur avec l’œuvre, autour de l’idée de séduction qui est engendrée par son travail plastique. Pour elle, il existe un véritable décalage entre ce que le visiteur voit et la pensée qu’induit son regard. L’artiste, qui a été en résidence à PS 1 à New York, réalise de grands wall-drawings sous hypnose. Ancienne illustratrice, notamment pour des journaux télévisés, la Suédoise Cecilia Edefalk part de la peinture pour mener une recherche sur sa propre image. Pourtant, loin de tout simulacre, elle prévient l’amateur, et en français dans le texte : Ceci est une reproduction, est-il écrit en toutes lettres sur une de ses toiles de 1996.
Nuit blanche, la jeune scène nordique, partie contemporaine de l’exposition "Visions du Nord"?, jusqu’au 10 mai, Arc, Musée d’art moderne de la Ville de Paris
Come closer, l’art scandinave des années 90 et ses prédécesseurs, 19 février-19 avril, Lichtensteinische Staatliche Kunstsammlung, Städtle 37, Vaduz, tél. 75 232 23 41
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Le Nord en pleine lumière
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°54 du 13 février 1998, avec le titre suivant : Le Nord en pleine lumière