PARIS
L’artiste britannique, lauréat du Turner Prize 1994, investit le musée avec ses sculptures de corps humains, en contrepoint de celles d’Auguste Rodin.
Paris. L’exposition organisée par Sophie Biass-Fabiani, conservatrice du patrimoine au Musée Rodin, propose un dialogue entre Auguste Rodin (1840-1917) et Antony Gormley (né en 1950), ce dernier affirmant avoir toujours regardé attentivement les travaux du maître français.
On conseille au visiteur de faire l’impasse sur la signalétique qui indique le « bon » parcours de cette exposition et d’emprunter le trajet à rebours, en commençant par l’hôtel Biron, où loge la collection permanente du musée. Là, les personnages de taille réduite du sculpteur anglais, éparpillés sur les deux étages, semblent écrasés par les œuvres imposantes de Rodin, à l’exception d’un moule impressionnant en plâtre de Gormley, placé aux côtés de l’Étude de la robe de chambre de Balzac, qui rappelle que cette technique est utilisée par les deux créateurs. Notons également les magnifiques carnets de dessins où l’artiste laisse voguer son imagination.
Le visiteur découvre ensuite l’installation emblématique du sculpteur, Critical Mass II, datant de 1995 [voir ill], que l’artiste « rejoue » au gré de ses déplacements. Dans la cour, devant le perron, douze figures masculines noires à échelle humaine – Gormley utilise comme modèle son propre corps – se dirigent vers Les Portes d’Enfer. Allongés ou recroquevillés, placés dans des poses allant du repli fœtal au redressement total, ces corps en fonte tracent une ligne ascensionnelle qui traverse la cour pavée. Cette séquence s’achève sur une figure en position verticale, qui semble prendre son élan.
La partie la plus saisissante de cette œuvre attend les visiteurs dans la salle consacrée aux expositions temporaires – une ancienne chapelle, avec une grande hauteur sous plafond. À l’entrée, quelques figures isolées et jonchées sur le sol. Suit un empilement de corps, « noués » les uns aux autres, formant comme un magma de chair indistincte – un charnier ? Levant les yeux, le visiteur retrouve les mêmes figures archétypales dans des positions tout aussi inconfortables. Accrochées par des filins, suspendues au-dessus du sol, elles évoquent inévitablement des suppliciés. Charnier, supplices, chute… « C’est la chose la plus sombre que j’aie jamais faite… Un anti-monument aux victimes du XXe siècle », affirme Gormley, dans le catalogue, et qui ajoute : « Je veux retrouver la possibilité de l’émotion. »
Pourtant, malgré l’aspect spectaculaire de cette œuvre et le choc visuel qu’elle produit, elle ne bouleverse pas. L’artiste a sans doute le sens de la mise en scène et la capacité de créer un rapport parfaitement étudié entre la matérialité des corps et le vide qui les entoure. En virtuose de la sculpture, il met en œuvre tous les ingrédients nécessaires pour faire passer son message. En fait, tout est parfait mais il y manque justement ce pas de côté, cette minuscule imperfection, cette infime « maladresse » qui dérange, mais qui fait mouche.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°622 du 1 décembre 2023, avec le titre suivant : Le Musée Rodin ouvre ses portes à Antony Gormley