Art non occidental

ART ABORIGÈNE

Le MEG victime de l’effet boomerang

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 7 juin 2017 - 816 mots

GENEVE / SUISSE

Le Musée ethnographique de Genève présente maladroitement une partie de sa très belle collection d’objets d’art aborigène d’Australie.

Genève. Pour prendre possession des terres des Aborigènes, en 1770 à son arrivée en Australie, James Cook invoqua la doctrine dite de « terra nullius ». Une fiction, forgée par les Britanniques, pour désigner une terre inoccupée et privée de toute forme reconnaissable de gouvernement. Cette théorie du droit international lui permit de légitimer la confiscation de terres occupées par des populations autochtones depuis 60 000 ans, puis la colonisation du pays.

Pour tenter de mettre en scène cette doctrine de la terra nullius et l’effacement des populations locales, les designers suisses Adrien Rovero et Béatrice Durandard, chargés de la scénographie de l’exposition « L’effet boomerang », au Musée d’art ethnographique de Genève (MEG), ont usé, de manière malheureuse, d’un code très contemporain : le « white cube ». Muni de son billet, le visiteur débouche dans une grande salle rectangulaire aux murs entièrement blancs, plantée de cimaises également d’un blanc immaculé, espacées les unes des autres de quelques mètres et alignées de manière parallèle. Ce grand rectangle sans âme, et en apparence entièrement vide, est baigné par la lumière froide de néons.

Une scénographie inadaptée
Il faut contourner la première cimaise pour apercevoir les premières œuvres : des peintures à l’acrylique parmi lesquelles une très belle toile des années 1970 figurant une constellation d’étoiles. Derrière la deuxième cimaise, des boomerangs et propulseurs sont sagement alignés dans de grandes vitrines. Au verso de la troisième, place à des boucliers et massues. Puis, quelques mètres plus loin, à des pointes de lance, suivies d’arbres gravés sacrés. Coincés derrière leurs sarcophages de verre, ces objets, pourtant très beaux, apparaissent complètement déconnectés des liens qui les attachent à leur territoire ancestral et aux temps immémoriaux de la création du monde dont ils sont les fruits. La scénographie très originale et immersive de la précédente exposition du MEG, « Amazonie, le chamane et la pensée de la forêt », magnifiait le propos. Celle-ci le rend inaudible.

La thèse soutenue par la commissaire de l’exposition, Roberta Colombo Dougoud, est pourtant passionnante. La conservatrice soutient que la tentative de suppression de la culture des Aborigènes se serait soldée par « un renforcement de leur identité et de leurs revendications » et « par une créativité sans précédent », d’où « l’effet boomerang » formant titre de l’exposition. Mais pourquoi a-t-elle, alors, choisi d’abandonner ce fil directeur dans la seconde partie de l’exposition, pour se concentrer sur l’histoire des collections d’objets d’art australien du MEG et sur les collecteurs qui les ont alimentées ? Les magnifiques écorces peintes, sculptures et objets divers, rapportés d’Australie depuis 1880 ou acquis sur le marché de l’art, « dialoguent », dans cette salle, avec des sculptures créées par un artiste contemporain australien quadragénaire, Brook Andrew, accueilli en résidence au musée. Ils font face également à une installation en forme de cabinet de curiosités, placée au centre de la pièce, réalisée par ce descendant d’aborigènes Wiradjuri et Ngunnawal. On y voit, collées sur des panneaux didactiques, des archives historiques de l’artiste censées « apporter une nouvelle lecture de l’histoire de populations enfermées par une vision primitiviste et coloniale ». La présentation de ce « récit alternatif » est essentielle et plutôt instructive si l’on prend le temps de décrypter ce travail. Mais son insertion malhabile dans le parcours de l’exposition et la mise en scène abrupte visant à désorienter le visiteur sont finalement contre-productives. Comme l’est l’installation immersive d’Andrew, placée à la fin de l’exposition, qui cherche à bousculer les attitudes ethnocentristes à l’égard des peuples autochtones.

SULPTURES GHOSTNETS

ART CONTEMPORAIN ABORIGÈNE. C’est la section la plus fidèle à la thèse soutenue par la commissaire de l’exposition. Elle témoigne de l’échec des politiques d’acculturation et, par « effet boomerang », de la vitalité accrue de la création contemporaine des Aborigènes d’Australie et des insulaires du détroit de Torrès. Le visiteur découvre, dans cette troisième partie, la richesse et le foisonnement créatif de l’art de ces populations et la variété des supports et techniques utilisés : sculptures sur bois, en bronze ou en fibres végétales, peintures sur écorce, sur toile ou sur papier. Au centre de la salle, suspendues au-dessus d’une structure en bois en forme d’amphithéâtre, de très poétiques sculptures figurant des animaux marins en voie de disparition sont réalisées à l’aide de filets de pêche dérivants : les « ghostnets ». Des filets, perdus ou abandonnés de manière intentionnelle par les pêcheries industrielles, qui échouent sur les plages du nord de l’Australie. Une association, Ghostnets Australia, s’est attelée à valoriser ces filets et à sauver les animaux qui en sont victimes. Elle a conclu un partenariat avec des centres d’art qui ont réalisé des œuvres d’art, des sculptures animalières à la fois légères et monumentales dénommées également « ghostnets », et aujourd’hui très prisées sur le marché de l’art.

L’effet boomerang. Les arts aborigènes d’Australie

Jusqu’au 7 janvier 2018, Musée d’ethnographie de Genève (MEG), bd Carl-Vogt 65, Genève

Légende Photo :
Ensemble de boomerangs, Australie © Photo MEG /J. Watts

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°481 du 9 juin 2017, avec le titre suivant : Le MEG victime de l’effet boomerang

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