En France, le mécénat des industries du luxe à destination des arts plastiques se distingue par sa modestie et son déséquilibre. Ce secteur d’activité ne représente en effet que 5 % du total des actions de mécénat menées en France dans le domaine culturel (lire encadré) : artistes, expositions et musées peuvent en attendre une poignée de dizaines de millions de francs par an… Des chiffres à rapprocher des bénéfices des deux plus importants bailleurs de fonds, le groupe Louis Vuitton-Moët Hennessy1 (3,6 milliards de francs en 1996) et le Vendôme Luxury Group2 (1,8 milliard de francs au 31 mars 1996).
Deux poids lourds se disputent le leadership du mécénat du luxe en faveur des arts plastiques en France, le holding français LVMH, dirigé par Bernard Arnault, et le Vendôme Luxury Group, dont l’actionnaire majoritaire est le groupe Richemont, lui-même contrôlé par la famille sud-africaine Rupert. Deux groupes et deux stratégies : les opérations du premier apparaissent généralement sous la signature LVMH, au besoin associée à telle ou telle des marques du groupe, alors que celles qui composent le second mènent des actions individuelles. "Sachant que la stratégie de l’image est la clé de notre développement, nous avons décidé de potentialiser le capital de chacune de nos marques pour créer une identité forte à LVMH", explique Jean-Paul Claverie, conseiller de Bernard Arnault pour le mécénat. En plus de son soutien à la musique et de son engagement en faveur d’actions humanitaires, LVMH privilégie essentiellement une politique d’aide aux grandes expositions : "Picasso" en 1996, "Cézanne" en 1995, "Poussin" en 1994, "Versailles et les tables royales en Europe" en 1993… et, à la rentrée, "Georges de La Tour" au Grand Palais. Particularités, ce mécène exige d’être le seul à chaque fois et ne divulgue pas le montant de ses contributions, même si les chiffres de 5 et 10 millions de francs ont été avancés respectivement pour la rétrospective Cézanne et l’exposition de Versailles, qui fut même organisée à son initiative pour commémorer le 250e anniversaire de Moët & Chandon. En outre, LVMH n’hésite pas à mettre la puissance de son département communication au service de la promotion des événements qu’il parraine, s’assurant par ce biais d’importantes retombées médiatiques. Voilà pourquoi Jean-Paul Claverie préfère employer le terme de "communication culturelle" que de mécénat. Parallèlement, un Prix LVMH des jeunes créateurs a été créé en 1995, qui distribue chaque année cinq bourses à des étudiants d’écoles d’art du monde entier. D’autres actions menées par le groupe ont un visage tout différent. Ainsi, en 1995, une tête romaine a été offerte au Musée du Petit Palais qui avait accepté d’héberger une soirée Christian Dior. De même, une récente réception organisée au Musée Guimet devrait permettre à ce dernier d’acquérir une nouvelle pièce. Enfin, LVMH vient d’offrir une participation d’environ 1,5 million de francs pour l’achat du Portrait de Juliette de Villeneuve par David, offert au Louvre par ses Amis, tandis que le groupe a partiellement pris en charge les réaménagements du Musée Christian Dior, à Granville, dont la réouverture est prévue le 20 juin.
Développement international
À la différence de LVMH, qui joue la carte de la grande tradition française, Cartier a choisi un domaine sans rapport direct avec son métier. Après dix ans passés à Jouy-en-Josas, la Fondation Cartier pour l’art contemporain s’est installée en 1994 à Paris, où elle a accueilli 100 000 visiteurs payants en 1996. La Fondation dispose d’un budget d’acquisition de 3 à 6 millions de francs par an, et d’un budget de fonctionnement de 21 millions de francs en 1997, soit une baisse de 50 % par rapport à ceux des "années Jouy-en-Josas". Riche d’environ huit cents pièces, la collection Cartier sera exposée par roulement, et pour la première fois à Paris à partir du mois de novembre, après une présentation organisée du 13 juin au 14 septembre à l’invitation de l’association Mécénart Aquitaine dans dix châteaux du Bordelais. Une sélection de la collection avait déjà été exposée à Séoul et Tapei en 1994-1995, puis à Bruxelles en 1996. Ce type d’exposition est financé par les filiales étrangères de Cartier, tout comme celles liées à des commandes passées à des artistes tels que Jean-Pierre Raynaud (ill. 2), Marc Couturier ou James Lee Byars, dont les œuvres ont été montrées en Chine, au Japon, en Europe et aux États-Unis. "Nous rebondissons sur les intérêts économiques d’une société internationale", déclare le conservateur de la fondation, Hervé Chandès, à propos de ce développement des opérations à l’étranger. Signe des temps, l’exposition Cartier qui vient d’ouvrir ses portes au Metropolitan Museum de New York succède à celle organisée à l’automne par LVMH à l’occasion des cinquante ans de Christian Dior. Pour tous, l’international et ses marchés porteurs sont l’enjeu de demain, "ce qui ne signifie pas que les thèmes retenus en France seront ceux que nous mettrons en pratique à l’étranger", précise Jean-Paul Claverie.
Manque de pérennité
Les stylos Montblanc ont déjà intégré cette dimension avec leurs Prix Montblanc de la Culture, d’un montant de 15 000 dollars, décernés depuis 1992 à dix mécènes qui encouragent des projets culturels dans autant de pays différents. Ainsi, en France, le jury international a couronné cette année la Fondation d’art contemporain Daniel et Florence Guerlain, ouverte en 1996 aux Mesnuls, dans la forêt de Rambouillet. Dans le même esprit, une autre marque du groupe Vendôme, Piaget, a accepté de restaurer le mouvement de la Tour de l’horloge de la place Saint-Marc à la demande des autorités vénitiennes. En plus d’une contribution financière valorisée entre 4 et 8 millions de francs, la manufacture helvétique apporte son savoir-faire en envoyant des équipes qui formeront les maître-artisans italiens chargés de la restauration. Cette première pour l’entreprise pourrait augurer d’autres actions de ce type, "pour peu qu’on nous propose des projets d’envergure internationale", insiste Francis Gouten, président de Piaget International. Reste qu’en dehors de LVMH et Vendôme, rares sont les entreprises du luxe à avoir franchi le pas du mécénat artistique. Tout juste relève-t-on quelques exemples isolés parmi un grand nombre de marques qui n’ont pas su inscrire leur engagement dans la durée. Depuis trois ans, Nina Ricci semble avoir abandonné sa politique de soutien à des expositions pour se focaliser sur ses "Vitrines d’artistes" (lire p. 15 et 18). L’Espace Pierre Cardin propose au coup par coup quelques expositions-ventes d’artistes avant tout défendus par son président, ainsi qu’un "Salon coup de cœur" semestriel rassemblant une moyenne de 80 artistes. Baccarat a prêté une cinquantaine de pièces de son musée et apporté 80 000 des 200 000 francs qu’a coûté l’exposition "Formes animales", présentée au Musée d’histoire naturelle de Lille jusqu’au 19 mai… "Le mécénat ne se développera en France qu’à partir du moment où tout le monde aura compris que le secteur culturel est un fantastique champ de développement des images des entreprises", pronostique Jean-Paul Claverie. Tout le monde, c’est-à-dire surtout les entreprises, qui ont du mal à intégrer la notion de pérennité indéfectiblement liée au mécénat, et l’État, dont on attend qu’il simplifie la réglementation liée à la création des fondations d’entreprises.
1. Moët & Chandon, Louis Vuitton, Hennessy, Parfums Christian Dior, Hine, Mercier, Pommery, Veuve Clicquot Ponsardin, Givenchy, Christian Lacroix, Céline, Ruinart, Fred, Canard-Duchêne, Lœwe, Kenzo, Desfossés International, Investir, Berluti et Guerlain.
2. Cartier, Alfred Dunhill, Montblanc, Piaget, Baume & Mercier, Karl Lagerfeld, Sulka, Hackett, Chloé, Seeger, Purdey et Vacheron Constantin.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Le luxe et les arts plastiques
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Les préférences des entreprises
Alors que la France s’enorgueillit d’occuper une position dominante sur le marché international du luxe, ce secteur d’activité ne représente que 5 % du total des actions de mécénat menées en France dans le domaine culturel, en septième position derrière les banques et les établissements de crédit (27 %) et le secteur de la communication et de la presse (14,5 %). Le volume budgétaire global consacré par les entreprises au mécénat culturel en France a été estimé à près d’un milliard de francs en 1995. La musique est le principal bénéficiaire en nombre total d’actions (31,5 %) devant les arts plastiques-musées (20 %), mais ces deux disciplines se partagent à part presque égale le premier rang budgétaire (35,5 % contre 34,5 %). Le patrimoine (8 % du budget total) et la photographie (1 % du budget total) ont été comptabilisés à part.
Sources Admical, Répertoire du mécénat d’entreprise 1996.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°37 du 2 mai 1997, avec le titre suivant : Le luxe et les arts plastiques