Mode

Art, luxe et communication

Les choix des publicitaires

Par Isabelle Francke · Le Journal des Arts

Le 2 mai 1997 - 1191 mots

Du temps où la publicité était encore simple 'réclame', ses artisans n’étaient autres que des peintres affichistes, dont Savignac demeure l’un des plus connus. Aujourd’hui, au-delà des technologies de pointe, la communication manifeste un regain d’intérêt pour tout ce qui touche au monde de l’art. Dans un de ses récents numéros, le journal CB News citait une étude Ipsos qui montre que, dans la plupart des pays d’Europe, les œuvres d’art sont l’une des images du luxe alors que, dans le reste du monde, on pense plus volontiers automobiles ou bateaux de prestige. Un grand nombre d’entreprises, tous secteurs confondus, font appel à des artistes pour véhiculer leurs valeurs. La liste des artistes ayant prêté leur talent à la publicité est longue. Le luxe n’échappe pas à la règle. Quelques exemples.

Andy Warhol et le N° 5 de Chanel
Chanel vient de donner un coup de canif dans la sacro-sainte image du N° 5 . En 1985, Andy Warhol avait réalisé quatorze sérigraphies du N° 5. Le hasard fit que Jacques Helleu, le directeur artistique de la marque, en possédat une dans son bureau. Quand il apprit qu’il en existait treize autres, l’idée de les exploiter fit son chemin. Aujourd’hui, Chanel édite, en série limitée, quatre des œuvres de l’artiste. Une opération ponctuelle, car il n’est pas question qu’Andy Warhol "vampirise" le N° 5. D’autre part, la marque ne voulant pas inquiéter sa clientèle habituelle, c’est en fait un suremballage qui habille seulement deux extraits et deux eaux de parfum. Le parfum le plus vendu au monde n’aura donc été que "fiancé" avec l’art, la fin de l’idylle étant programmée au début du mois de juin. À moins que d’autres actions voient le jour, puisque Chanel a négocié avec la Andy Warhol Foundation les droits pour neuf des œuvres peintes par l’artiste.

Une vulgarisation de l’art qui n’est pas du goût de Van Cleef
La véritable saga Van Cleef & Arpels débute quant à elle en 1982, avec un bronze de Falguière. À partir de cette date, Van Cleef "habille" d’un bijou toutes les œuvres qu’elle va utiliser : un marbre de Rodin, des Modigliani, un Botticelli, un bronze de Maillol. Enfin, Tamara de Lempika, à plusieurs reprises et jusqu’en janvier dernier avec la Dormeuse, tableau disparu pendant la guerre, dont seule une photo, prise en 1934 et appartenant au Centre Pompidou, a permis de réaliser l’annonce. Le slogan "Il est des signatures auxquelles on tient", qui peut s’attribuer aussi bien celles des artistes qu’à la marque elle-même, souligne le souci de Van Cleef de respecter les œuvres originales. Aujourd’hui, le joaillier abandonne le territoire de l’art. "Trop exploité par des produits de grande consommation, par conséquent trop vulgarisé, son emploi n’est plus approprié pour valoriser le grand luxe", précise Marie Moatti, responsable de la communication. Chez Nina Ricci – ainsi qu’on l’a vu page 17 –, l’art trouve sa place à travers les "vitrines d’artistes". Depuis 1992, son président Gilles Fuchs, renouant avec une mode lancée aux États-Unis dans les années cinquante, ouvre les vitrines des boutiques de l’avenue Montaigne à des artistes contemporains, de Miguel Chevalier à Philippe Parreno, qui vient de signer la onzième édition ce printemps. Pour Gilles Fuchs, il s’agit d’une "manière originale de marier le nom de (sa) maison à celui d’un grand plasticien et de permettre ainsi au grand public de mieux connaître l’art contemporain".

Une affaire de sensibilité
Il semblerait que l’alliance de l’art et de la communication soit souvent liée à la personnalité et à la sensibilité des interlocuteurs en présence. Tel est également le cas des vins Lynch-Bages, dont le budget publicitaire a été confié à Bruno Pons, Pdg de l’agence Les Ateliers ABC. Celui-ci est collectionneur d’art. Mouton Rothschild met l’art sur ses bouteilles en faisant appel à des artistes pour réaliser l’étiquette de chaque cuvée. Pour son client Lynch-Bages, il décide de faire l’inverse et d’intégrer la bouteille à l’œuvre d’art. Depuis sept ans, Pierre Alechinsky, Jean Le Gac, Sandro Chia, Titus Carmel, Dona Lipsky, Eduardo Arroyo, Jiri Kolar ont ainsi œuvré pour ce grand cru classé de Pauillac. La signature "Lynch-Bages bu par..." a été refusée par Alechinsky, et le "bu" a été remplacé par "vu par". Mais pourquoi associer l’art et le vin ? "Parce que les amateurs d’art sont souvent amateurs de grands vins. Nous nous adressons à une population très ciblée, ce qui nous permet d’adopter une stratégie très pointue, notamment à travers le choix des supports qui ne sont que des magazines très spécialisés. Communiquer pour le vin oui, mais par l’art", explique Bruno Pons.En 1928, Étienne Nicolas, passionné de beaux-arts, confie à Charles Loupot le soin de réaliser le premier catalogue des "Fines Bouteilles". Jusqu’en 1995, la carte "Fines Bouteilles" a été illustrée par des œuvres originales de peintres de renom. Cassandre, Latour, Derain, Van Dongen, Buffet, Lorjou, Puvis, Boisrond... se sont ainsi succédé pour constituer cette collection destinée aux œnophiles. En 1996, c’est à Emmanuelle Cremmer que revient l’honneur de s’exprimer pour célébrer la grandeur du vin. Elle le fera à travers vingt dessins originaux accompagnés de citations de poètes et d’écrivains tels que Victor Hugo, Colette, Baudelaire, Apollinaire… Étienne Nicolas, qui voulait établir une symbiose entre le vigneron – créateur d’odeurs et de saveurs – et le peintre – créateur de couleurs et de sensations –, peut être comblé puisque même la poésie s’en mêle !Taittinger, lui, exprime son intérêt pour l’art par le biais de la série "Bouteilles de collection". Au fil des années, Vasarely, Arman, Vieira da Silva, Lichtenstein, Hartung, Toshimitsu Imai ou Corneille ont créé bouteilles et verres pour cette action de prestige lancée par le producteur champenois.

La photographie aussi...
Il est difficile d’échapper aux campagnes de Jean Larivière pour Louis Vuitton. Ce photographe a su donner une pérénité et une image à Vuitton à travers le concept du voyage. Concept moderne mais un peu réducteur pour une marque à la riche personnalité, qui décide d’élargir son potentiel d’expression. Larivière réalise alors la transition entre la symbolique du voyage et la réalité des produits. En 1996, à l’occasion du centenaire de la célèbre toile Monogram, le couple de photographes américains Guzman, entouré de sept designers, signe une campagne qui présente la gamme des produits. Cependant, la prochaine réalisation de Jean Larivière revient au voyage – en Birmanie –, mais cette fois avec des personnages, ce qui humanise la marque, la valorise et la personnifie. "Vuitton n’est pas un artiste, dans le sens où nous produisons des produits standardisés à but commercial", explique Jean-Marc Loubier, son directeur du marketing et de la communication. Qui conclut : "La phase de création est le seul rapprochement possible avec l’art ; le produit devient alors un art appliqué". Pourtant, il existe chez Vuitton un autre aspect de l’art. Depuis trois ans, en effet, sont édités de jolis "carnets de voyage", abondamment illustrés par des artistes, et sur lesquels le voyageur peut porter des annotations personnelles. Une invitation à aller à la rencontre de grandes villes comme Paris, Londres ou Tokyo.Quant à la dernière photographie de Daniel Aron pour Hermès, elle appartient indéniablement, comme la plupart des précédentes, au domaine de l’art.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°37 du 2 mai 1997, avec le titre suivant : Art, luxe et communication

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