Artisanat d'art

ARTS DÉCORATIFS

Le goût du luxe de poche

Par Marion Krauze · Le Journal des Arts

Le 18 septembre 2024 - 638 mots

Le Musée Cognacq-Jay sort des petits trésors de ses réserves, des bijoux et autres objets portatifs disant beaucoup des préoccupations du XVIIIe siècle.

Paris. Miniatures délicates, accessoires méticuleusement décorés et sertis de pierres étincelantes… Le Siècle des lumières est le théâtre du faste, d’un raffinement ostensiblement affiché dans ses moindres détails. Le Musée Cognacq-Jay met en exergue la préciosité et l’engouement que suscitaient ces petits objets, regroupés à l’époque sous le terme évocateur de « bijoux ». « C’est un sujet assez unique, qui nous offre l’opportunité de sortir nos trésors cachés des réserves », se réjouit la commissaire de l’exposition, Sixtine de Saint-Léger, attachée de conservation du musée. De fait, une grande partie des objets présentés proviennent de la remarquable collection d’Ernest Cognacq (1839-1928), riche commerçant féru d’arts décoratifs. Complétée par de nombreux prêts, l’exposition rassemble près de trois cents pièces qui offrent un bel aperçu de la production de luxe des années 1750 aux années 1820, période durant laquelle Paris s’impose comme fer de lance.

Intimité et exhibition

L’exposition dresse d’abord, de manière somme toute classique, une typologie de ces objets portatifs. Un panorama qui se révèle nécessaire au regard de la multitude d’accessoires dont se servaient les femmes comme les hommes fortunés. Si l’utilisation d’une tabatière ou d’une bonbonnière ne laisse guère place au doute, on ne peut en dire autant de la « châtelaine », accessoire portée par les dames à la taille pour y suspendre montres, clés ou encore cachets de cire. Un propos clair et pédagogique appuyé par une scénographie sobre permet d’apprécier pleinement la finesse d’exécution de ces petits objets précieux.

« Pour expliquer la fabrication et le fonctionnement de ces objets, nous avons choisi d’adopter une approche plurielle qui convoque à la fois l’histoire de l’art, de la mode et des techniques, précise Sixtine de Saint-Léger. Nous les faisons ainsi dialoguer avec des dessins, gravures et tableaux où ils sont représentés, des vêtements qu’ils agrémentaient et des éléments de mobilier sur lesquels ils étaient déposés. » Boîtes à mouches surplombées d’une gravure de dame à sa toilette, reconstitution d’une robe à la française qui montre comment les poches, indépendantes du vêtement, étaient autrefois nouées autour de la taille… L’exposition montre l’ambivalence de ces accessoires de mode à la fois intimes et éminemment sociaux, portés au plus proche du corps mais aussi exhibés, exposés à la vue de tous.

Les salles suivantes se concentrent sur ce que ces petits objets précieux révèlent de leur époque : l’épanouissement des métiers d’art et d’artisanat à Paris puis dans toute l’Europe, l’émergence d’une bourgeoisie en quête de reconnaissance sociale, le développement d’un goût pour l’exotisme… « Dans ces tout petits objets miniatures, se cristallisent un certain nombre de préoccupations, de grandes interrogations du Siècle des lumières », indique Sixtine de Saint-Léger. À commencer par un attrait pour les sciences naturelles et le savoir. Flaconniers en forme de faux livres, boutons « à la Buffon » incrustés de vrais petits insectes et végétaux : certains objets allient l’érudition à l’utile. Parmi les plus belles pièces de l’exposition, une superbe tabatière réalisée par l’orfèvre allemand Johann Christian Neuber (1736-1808) et ornée de cent vingt fines lamelles de pierres dures, chacune surmontée d’un numéro gravé qui les répertorie dans un petit livret associé [voir ill.]. Un véritable cabinet de minéralogie miniature. Ce foisonnement créatif s’accompagne d’une grande liberté dans les formes, bien souvent mâtinée d’une touche d’humour comme en témoignent un étui à cire en forme d’asperge, un pistolet miniature vaporisant du parfum ou encore un drageoir en forme de tatou [voir ill.].

En fin de parcours, une rapide incursion dans l’art du luxe du XXe siècle – avec des créations de Van Cleef & Arpels et de Fabergé – laisse transparaître l’ampleur de cet héritage des Lumières, tant dans les formes que dans les techniques utilisées. Une fascination qui a traversé les siècles, et perdure encore aujourd’hui.

Luxe de poche. Petits objets précieux au siècle des Lumières,
jusqu’au 24 novembre, Musée Cognacq-Jay, 8, rue Elzévir, 75003 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°639 du 20 septembre 2024, avec le titre suivant : Le goût du luxe de poche

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