LYON
Pendant la Biennale, deux focus sont dédiés à l’œuvre grinçante de Dewar & Gicquel et à celle, pleine d’exultation, de Renée Lévi.
Lyon. Invités pour la Biennale, Daniel Dewar et Grégory Gicquel ont été invités à montrer leur travail en grand au Musée d’art contemporain de Lyon. Ils y présentent la suite d’un projet toujours en cours, Mammalian Fantasies (voir ill.), commencé voilà environ trois ans. Si celui-ci a déjà fait l’objet d’expositions à Francfort et à la Kunsthalle Basel, c’est la première fois qu’il se déploie sous une forme aussi aboutie. « Leur souhait était de compléter cette série, et nous avions envie, par contraste avec le parcours qui se tient dans les anciennes usines Fagor, de faire des propositions plus monographiques au MAC », explique Claire Moulène, l’une des co-commissaires de la Biennale. C’est donc sur deux niveaux du bâtiment que se développe le bestiaire fantasmatique du duo franco-britannique : au troisième étage, un ensemble de bas-reliefs alternent, en trames et en motifs, des parties et des détails de corps humain. Sur des abdomens masculins stéréotypés, vus de face ou de dos, se détachent des bouts de doigts, d’orteils, de bras. D’une sculpture à l’autre, les torses virils en arrière-plan s’estompent jusqu’à former un magma indistinct, une masse incorporée avec la matière dans laquelle surnagent des morceaux anatomiques. Au centre de la pièce, que théâtralisent de lourds rideaux de velours, trône un cabinet aux parements ornés d’intestins grossièrement ciselés. Au deuxième étage, de nouveaux bas-reliefs : une silhouette d’homme se trouve allongée au-dessous d’un mammifère à peau lisse, tour à tour poisson, truie ou pis de vache. Ces accouplements statiques, suspendus, font face à des pièces de mobiliers, assises, tables et buffets, où lièvre, têtes de bœuf, bras humains, escargots sont traités en ajouts décoratifs.
On le sait, Dewar & Gicquel ont pour principe de s’approprier techniques et savoir-faire manuels, jusqu’à les maîtriser parfaitement, dans une rivalité vaine avec la technologie qui les rend obsolètes. Or l’exécution artisanale de cet ensemble en souligne l’absurdité en même temps qu’elle lui confère une épaisseur charnelle. On hésite entre une impression de morbidité et un érotisme monstrueux, entre l’image de charniers et l’hallucination libidinale. Les connotations passéistes de ce décor rustique, en convoquant une ruralité disparue, résonnent lugubrement avec une époque qui l’a éradiquée. Mais ce folklore grotesque pourrait tout aussi bien suggérer un nouvel âge d’or où la hiérarchie des espèces ramènerait l’homme à ce qu’il est, un animal parmi d’autres. Relégué à un rang bestial. « C’est vrai, que, dans cette Biennale, la figure humaine est mise à mal », constate Claire Moulène. Les fantasmes de Dewar & Gicquel ne viennent pas adoucir ce constat. Tout juste ont-ils choisi d’en rire. D’un rire énorme. Et dément.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°530 du 4 octobre 2019, avec le titre suivant : Le ciel et l’enfer au MAC Lyon