PARIS
Le musée de Naples s’invite dans la Grande Galerie du Louvre, enrichissant le panorama des œuvres italiennes au sein du musée parisien.
Paris. La nature morte dans la Grande Galerie du Louvre : il fallait un peu de folie napolitaine pour que ce genre mineur côtoie les grandes peintures d’histoire qui composent le récit officiel de l’art italien vu de France. Et quelles natures mortes ! À gauche, un enchevêtrement d’animaux marins aux dimensions d’une crucifixion où agonise une tortue d’eau aux yeux embués de larmes, à la manière d’un Christ de douleur. À droite, une montagne de fruits mûrs au bord de la putréfaction, agrumes brillants et raisins gorgés d’eau. Entre ces deux toiles, signées Giuseppe Recco pour la première, Abraham Brueghel et Giuseppe Ruoppolo pour la seconde, une grande Madone de Luca Giordano : trois œuvres de la collection du Capodimonte qui s’inscrivent dans la dramaturgie et la mystique de la peinture napolitaine. « La chose qui m’a le plus frappé au Louvre, c’est l’incompréhension du baroque méridional, de cette identité violente et poétique », observe Sylvain Bellenger, le directeur du Musée de Capodimonte, à Naples, dont soixante-dix œuvres s’invitent à Paris pour l’été.
L’accrochage des œuvres du Capodimonte dans la Grande Galerie ne découle pas seulement de l’invitation d’un musée ami qui ferme pendant deux ans pour travaux. Il est pensé comme une réflexion critique sur deux collections, et notamment celle qui joue à domicile : qu’est-ce que le fonds de peinture italienne du Louvre ? que raconte-t-il ? qu’omet-il ? quelles sont ses carences ? Car, oui, le Louvre « n’a pas tout ». Masaccio par exemple, est absent de ses cimaises : le Capodimonte comble temporairement cette lacune avec l’une des plus belles œuvres du premier Italien à user de la perspective géométrique.
Les deux collections se révèlent complémentaires : celle du Louvre présente une vision idéalisée de l’art italien, un rassemblement de ses plus beaux exemples afin d’incarner à Paris l’esprit du génie de la Renaissance. La collection Farnese, qui forme le fonds du Capodimonte, a quant à elle une ambition encyclopédique, et peut raconter sans interruption l’histoire de l’art transalpin du XIIe siècle à l’art contemporain. Les deux musées entendent tirer parti de cette confrontation pour nourrir la réflexion de leurs grands chantiers, en cours ou à venir. Le Louvre prévoit ainsi pour 2024 un nouvel accrochage complet de la Grande Galerie, pour lequel Sébastien Allard, directeur du département des Peintures, promet une « nouvelle vision de l’Italie ». Le musée de Naples est quant à lui engagé dans une vaste restructuration dont les travaux ont débuté en janvier de cette année : son directeur se réjouit de ce dépaysement des œuvres napolitaines, qui donne des pistes pour le futur accrochage : « Le rapprochement des peintures est en soi un événement : ici la force de la composition de [Giovanni] Bellini est révélée ! », s’extasie Sylvain Bellenger devant La Transfiguration, l’une des plus belles toiles du maître vénitien, et de la collection Farnese. « Déplacer les œuvres ici nous fait réfléchir à des sujets pour le futur Capodimonte,comme le recours à des cadres d’époque », ajoute le directeur français – sur le départ néanmoins.
L’intérêt de cette confrontation est, pour les deux institutions, bien compris, mais pour l’amateur ou le simple touriste, qu’apporte-t-elle ? Il faut d’abord souligner que la scénographie est limpide, grâce à de grandes tentures présentant des textes concis, des cartels et suspensions de cadre de couleur rouge permettant d’identifier d’un seul coup d’œil les œuvres venues de la baie de Naples. Le cheminement de la Grande Galerie y gagne en exhaustivité : Masaccio, donc, en préambule, puis des œuvres du Quattrocento tirant vers le gothique flamand, un chef-d’œuvre de Guido Reni, avant la violence dramatisée propre à l’art napolitain, incarnée par Luca Giordano, Mattia Preti ou Francesco Guarino. S’il passe sur quelques effets de miroirs assez évidents entre les deux collections, le visiteur pourra apprécier des rapprochements inédits et pertinents du point de vue de l’histoire de l’art : mettre la sombre Flagellation du Caravage (Capodimonte) à côté de la très maniériste Incrédulitéde saint Thomas signée Francesco Salviati (Louvre) permet ainsi de comprendre qu’il y a aussi du maniérisme dans le baroque caravagesque.
L’invitation se poursuit dans les étages avec deux petites salles dont l’une, consacrée à l’histoire de la collection, présente ses trésors, parmi lesquels la « Cassette Farnese » et l’ouvrage La Chute des Géants de Filippo Taglioni. L’autre salle a puisé dans le fonds graphique du Capodimonte pour un propos didactique autour du carton et de la reproductibilité des œuvres. Deux additions qui auraient mérité, au vu de la qualité des œuvres, d’être mises en valeur au sein d’un espace plus vaste.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°615 du 7 juillet 2023, avec le titre suivant : Le Capodimonte parfait les collections du Louvre