À Francfort, la Schirn Kunsthalle consacre une sobre rétrospective à l’artiste hongrois, replaçant ses expériences photographiques au cœur du projet du Bauhaus, dont on célèbre cette année le quatre-vingt-dixième anniversaire.
Artiste complet et polymorphe, peintre, sculpteur, photographe, cinéaste, mais aussi typographe, théoricien de l’art, scénographe, publicitaire et avant tout inlassable pédagogue, László Moholy-Nagy (1895-1946) aura traversé, incarné et parfois même précédé l’esprit utopique de l’avant-garde des années 1920 et 1930. À commencer par le Bauhaus, au sein duquel il fut l’ardent promoteur du médium photographique, non comme enregistreur du réel, mais comme outil capable de développer les expériences optiques et esthétiques dont il s’était fait le maître défenseur.
Le travail de l’artiste de A à Z
Si la rétrospective de la Schirn Kunsthalle resserre largement son propos autour de ses années Bauhaus – 1923-1928 –, elle n’en oublie pas pour autant de raccrocher les wagons avec un parcours limpide de cohérence. Des années viennoises et berlinoises durant lesquelles le jeune autodidacte se lie avec les cercles de l’avant-garde hongroise, relayée par la revue MA, aux années d’exil à la tête du New Bauhaus à Chicago, le travail de Moholy-Nagy semble tout entier tendu vers la nécessité, un brin mécaniste, d’éduquer l’œil. « Le premier objectif du travail artistique, plaide déjà le jeune artiste en 1922, est de mettre en évidence que l’art en tant que moyen d’expression d’expériences psychiques subjectives a perdu toute signification. » Et pour ce faire, il faut « apprendre à voir », ainsi qu’il le professe en 1926.
Peintures abstraites – construites à partir de formes géométriques élémentaires se chevauchant par transparence sur fonds plats – et photogrammes – enregistrements d’objets par contact direct sur papier noircissant –, l’exposition balaie l’ensemble de la production d’un artiste qui ne cessera de réfléchir à l’intégration de l’art, des sciences et de la technologie. Elle replace aussi à sa juste mesure quelques-unes de ses anticipations et intuitions les plus saisissantes, à l’image de ses incessantes allées et venues entre les médias, de ses expériences graphiques et typographiques décisives – il est celui qui prit en charge les publications du Bauhaus – ou encore et surtout à l’image de ses fameux Telefonbilder (1922), simples compositions géométriques de facture graphique peintes sur plaques émaillées.
L’esprit à l’œuvre
Profitant du caractère élémentaire des formes choisies pour les dicter et s’appuyant sur un nuancier pour en préciser les couleurs, Moholy-Nagy aurait abandonné l’exécution des tableaux à des assistants guidés à distance – par téléphone ? Ou comment dissocier conception et réalisation bien avant les scénarios conceptuels. « L’approche intellectuelle de la création d’une œuvre n’est pas inférieure à l’approche émotionnelle », défend-il.
Et en guest star, la reconstitution du Raum der Gegenwart (Espace du présent), programme visionnaire et synthétique commandé en 1930 par le musée de Hanovre, resté à l’état de projet. Au programme : un espace scénographié dédié aux médias contemporains, films, photogrammes et sculptures cinétiques lumineuses, une véritable rétrospective théorique de l’artiste servie sur un plateau. Pour une nouvelle vision en mouvement.
Il y a 90 ans, en 1919, naissait le Bauhaus
« Tous ensemble (…), réalisons une nouvelle construction de l’avenir, où peinture, sculpture et architecture ne feront qu’un et qui, née des mains de millions d’ouvriers, s’élèvera un jour vers le ciel, symbole cristallin d’une foi neuve à venir. » Ainsi professe l’architecte Walter Gropius (1883-1969) en avril 1919. Il signe alors le manifeste du Bauhaus de Weimar, tout empreint du messianisme propre au discours de l’avant-garde et référant clairement aux bâtisseurs exaltés de cathédrales.
Mais le projet n’en est pas moins annoncé : « Il n’y a pas de différence essentielle entre l’artiste et l’artisan », proclame Gropius, qui plaide pour une synthèse des arts sous l’égide de l’architecture. L’école s’attelle alors à la redéfinition du rôle de l’artiste, engagé à renouer avec les masses et à façonner l’homme nouveau.
Une ascension fulgurante jusqu’à sa dissolution, en 1933
Mosaïque, textile, verre, sculpture sur bois, les ateliers pédagogiques animés par Lyonel Feininger, Johannes Itten, puis Paul Klee, Oskar Schlemmer et Vassily Kandinsky prévoient d’intégrer art et production, savoir-faire artisanal et vie de la communauté. Mais au modèle médiéval des débuts se substitue bientôt un rationalisme moins savant et plus moderne.
Alors que le Bauhaus s’est installé à Dessau, les ateliers se resserrent autour d’une synthèse des formes et de la production. Bois, métal, graphisme, architecture, les expériences menées prennent en charge la totalité de l’habitation moderne et de son équipement. Le Bauhaus glisse vers le design et connaît une renommée internationale. En 1932, alors que Mies van der Rohe dirige une école sous pression politique, la ville de Dessau ferme le Bauhaus. Après une ultime tentative à Berlin, les enseignants capitulent et déclarent l’école dissoute le 20 juillet 1933.
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Lázló Moholy-Nagy
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°619 du 1 décembre 2009, avec le titre suivant : Lázló Moholy-Nagy