DIJON
L’exposition ambitieuse présentée par Le Consortium, à Dijon, donne au travail de la lauréate du 29e Turner Prize une belle amplitude.
DIJON - Le grand-père n’est pas vraiment mort ! Celui de Wantee (2013), qui a révélé l’œuvre de Laure Prouvost au grand public après lui avoir permis de remporter le prestigieux Turner Prize. Ce grand-père fictif mais tout de même un peu vrai est un artiste dont l’atelier semble être devenu un théâtre après sa disparition. Son destin questionne à la fois le processus de création et la dépossession, après que la grand-mère se mit en tête d’améliorer les tableaux du défunt, signe d’une perte de contrôle de l’artiste sur la production de son œuvre.
Ce grand-père est donc un peu là, dans l’exposition conçue par la directrice du Frac Bourgogne, Astrid Handa-Gagnard, au Consortium, mais il n’est plus l’argument central du propos. Une décision opportune, tant l’omniprésence de ce personnage fondateur risquait de restreindre l’œuvre à des déclinaisons. Or la réussite première de la présentation dijonnaise est bien d’offrir, travaux anciens et nouvelles productions à l’appui, une lecture plus ample de la réflexion de Laure Prouvost.
Sur la route…
Conçue comme le premier épisode du récit d’une errance qui en compte trois et se poursuit au MMK-Museum für Moderne Kunst à Francfort-sur-le-Main (à partir du 3 septembre) et au Kunstmuseum Luzern (à partir du 29 octobre), l’exposition se focalise sur l’idée du « départ ». Plusieurs films apparemment sans début ni fin, et dont le montage semble défier la linéarité tant de la pensée que de l’action, ponctuent le parcours, animés d’une obsession pour le mouvement. We will go far (2016) (« Nous irons loin ») proclame d’ailleurs le titre de l’un d’eux. La fuite vers un ailleurs attractif car inconnu, c’est ce que met en scène la vidéo A Way to Leak Lick Leek (2016), qui donne à voir une jeunesse californienne lancée sur la route, entre insouciance et questionnements existentiels, non sans rappeler le cinéma d’un Harmony Korine, ici amputé de son versant trash et déluré. Mais ce que révèle le parcours à la fois complexe et finement pensé qui conduit le spectateur à travers un dédale dans lequel il est happé par un flux de sensations, c’est que l’idée de fuite est corrélée à celle de la perte de contrôle évoquée dans le champ de la création. En ce sens, la démultiplication des gadgets technologiques et outils de communication est frappante. Dispersés en grand nombre en plusieurs endroits de l’exposition, ils sont systématiquement déconnectés de leur réalité et de leur fonction : ils sont en effet obsolètes, ou bien ne fonctionnent plus. Ils imposent en outre une certaine omniprésence de l’écran, assimilé à la surface plane, comme sur cet écran qui n’est qu’une tôle trouée à travers laquelle se diffuse une image fragmentée qui vient « s’échouer » sur le mur. Or ces surfaces mettent en scène et organisent le reflet du réel – ou de ce que l’on croit tel – et se posent en intermédiaire du regard, dans ce qui touche à la vie comme à la création artistique, considérée, à l’image de la route et du voyage, comme une forme d’échappatoire. Car des écrans il y en a aussi dans les salles évoquant le processus artistique, notamment dans celle qui pourrait figurer l’atelier du grand-père, où de nombreux miroirs juxtaposés à des œuvres paraissant en cours d’élaboration. Le titre de l’une d’elle est sans équivoque : Mirror paintings, a Story of Reflection (« Peintures miroir, une histoire de la réflexion », 2014). Ce qui se joue là est « une sorte de réalité du subconscient », pour reprendre les propres mots de l’artiste lors d’un entretien accordé au Journal des Arts [no 421, 17 oct. 2014] soit une manière habile, toujours, d’entretenir une zone floue entre le réel et ce qui ne l’est pas – et de n’avoir ainsi pas à décider de ce qui est quoi.
jusqu’au 25 septembre, Le Consortium, 37, rue de Longvic, 21000 Dijon, tél. 03 80 68 45 55, www.leconsortium.fr, tlj sauf lundi-mardi 14h-18h, vendredi 14h-20h, entrée 4 €.
Légende Photo :
Laure Prouvost, A Way to Leak Lick Leek, 2016. © Photo : André Morin/Le Consortium, Dijon, 2016.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°462 du 2 septembre 2016, avec le titre suivant : Laure Prouvost cultive le flou