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ENTRETIEN

Laure Prouvost, ambassadrice de la France à Venise : « Je crois que l’art est sans frontières »

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 8 avril 2019 - 857 mots

LONDRES / ROYAUME-UNI

À deux mois de la 58e Biennale de Venise, où elle représentera la France, l’artiste Laure Prouvost, de passage à Londres, donne des indices sur son projet pour le pavillon et l’esprit qui l’anime.

Laure Prouvost © Photo Gene Pittman, courtesy Walker Art Center, Minneapolis
Laure Prouvost, plasticienne
Photo Photo Gene Pittman
Courtesy Walker Art Center, Minneapolis
Vous venez de présenter votre projet de pavillon pour la Biennale de Venise aux journalistes anglais. Était-ce un exercice très différent de la conférence de presse qui s’est tenue à Paris fin janvier ?

Bien sûr, puisqu’on utilise une autre langue. J’ai davantage l’habitude de parler de mon travail en anglais d’ailleurs. Les jeux de mots comme « on va vous raconter des salades », « occupez-vous de vos oignons », ces phrases qui viennent du passé ont une résonance encore plus surréelle une fois traduite mot à mot. Un des sujets abordés dans ce projet de pavillon pour Venise est justement le décalage lié à l’incompréhension de la langue.

Qu’est-ce que cela signifie pour vous de représenter la France ?

J’y ai finalement très peu vécu ; à 13 ans j’allais en cours dans une école artistique en Belgique, à l’Institut Saint-Luc de Tournai, où j’ai fait l’expérience d’un autre système. Et à 18 ans je suis partie étudier en Angleterre. Est-ce qu’on représente un pays ? Je crois que l’art est sans frontières. Même si bien sûr j’ai eu énormément de chance d’être choisie ; je ressens un soutien, comme celui que peut apporter une famille. La France c’est ça pour moi, une famille, avec toute la gamme d’émotions complexes que cela suppose.

Comment cette question de la langue est-elle abordée dans votre projet ?

Nous avons tourné un film retraçant un voyage qui nous a menés de Roubaix à Marseille, au cours duquel nous avons rencontré beaucoup de gens, dont certains parlaient des langues différentes : une Flamande, quelqu’un originaire du Burkina Fasso, du Maghreb… Cela montre le mélange des cultures qui contribue à la mixité de nos sociétés. Mais la langue peut aussi être mise de côté pour laisser parler les sensations pures, comme cette mer bleue, qui englobe complètement. Est-ce qu’on peut sentir le monde en le touchant, le penser en le touchant ? Ces traductions de sensations sont aussi importantes selon moi que celles d’une langue vers une autre.

Que pouvez-vous dire aujourd’hui de ce futur pavillon, en dehors de ce film ?

Ce sera le voyage du visiteur. Il y aura des objets, des cooling system [système de refroidissement, NDLR] produits sur l’île de Murano. Et puis, ma grand-mère est en train de faire une tapisserie, qui raconte notre périple, depuis Paris. Il y aura une pieuvre…

En quoi sera-t-elle ?

Vous verrez. On fait des essais… des morceaux de ­tissus qu’on a trouvés. Ce sera comme une tente à l’intérieur du bâtiment, qui à l’extérieur semblera un peu à l’abandon. Ce sera également un pavillon performatif, j’espère assez vivant : j’aimerais qu’il y ait des interactions avec les objets accrochés au mur.

Vous citez souvent l’artiste John Latham (1), dont vous avez été l’assistante, comme un de vos mentors : que vous a-t-il appris ?

Avec sa femme, Barbara Steveni, ils étaient à l’origine de The Artist Placement Group, qui posait en quelque sorte les bases des résidences d’artistes, mais selon un principe beaucoup plus provocant. L’idée était de placer des artistes dans le gouvernement ou dans les industries, au centre de la société, là où ils pouvaient questionner des situations très larges. Ce projet, avec ce qu’il comportait d’idéaux propres aux années 1960, m’a fascinée. John Latham a été mon grand-père conceptuel anglais, un de mes grands-pères, car j’en ai plusieurs bien sûr. Son travail est assez différent du mien, qui est plus lié au domestique, aux petites choses. Barbara Steveni aussi était fantastique, mais c’était encore une époque, où les femmes étaient souvent réduites à des rôles subalternes. C’est la raison pour laquelle ma grand-mère devient un personnage dominant dans mon œuvre. Elle donne son point de vue, elle a le désir de montrer, d’inventer aussi : c’est le début d’une autre histoire de l’art.

Était-ce pour échapper à une lecture biographique de votre travail, vous qui êtes née dans une grande famille industrielle du Nord, que vous vous êtes inventé une généalogie fictionnelle ?

Oui, en France tout le monde demande qui je suis, mon passé est regardé à la loupe. Ici, à Londres, j’ai eu la liberté d’être une étrangère. Je n’étais pas tenue de remplir un rôle, lié à ma naissance… On est plus libre quand les choses sont moins claires. Il faut beaucoup de temps aussi pour travailler l’imaginaire. Et je ne sais pas si je me sens française.

Qu’est-ce qui vous a constitué comme artiste ?

Je n’écrivais pas bien… J’étais sans doute un peu dyslexique. Je crois que j’essayais de trouver un autre langage, d’abord très visuel. Et puis, de plus en plus, j’ai utilisé les mots parce qu’ils créent des images. Ils sont là pour questionner leur propre sens.

(1) John Latham est cofondateur de l’Institute for the Study of Mental Images. Il met en avant le rôle des micro-événements comme unités fondamentales de l’Univers et envisage l’utilisation d’objets réels comme un mode de transposition de l’événement dans la peinture.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°520 du 29 mars 2019, avec le titre suivant : Laure Prouvost, ambassadrice de la France à Venise : « Je crois que l’art est sans frontières »

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