À la galerie Nathalie Obadia, le visiteur est invité à partir en quête d’indices dans une installation-exposition qui mêle toutes les disciplines, de la tapisserie à la vidéo.
Paris. Laure Prouvost aime les histoires. Celles de sa propre vie comme celles de ses fictions et celles du monde qu’elle mélange, peint, filme, sculpte, dessine, écrit, tisse et tapisse. Cette deuxième exposition à la galerie Nathalie Obadia combine toutes les disciplines et joue sur tous les sens, avec une installation magistrale dans sa maîtrise.
Rien de tape à l’œil ni de spectaculaire ici, l’ensemble ne se donne pas immédiatement. Selon le principe même de ces bâtons noueux terminés par un petit miroir, le spectateur est invité à aller chercher à l’aide de l’instrument des indices sous une étagère basse qui fait tout le tour de la galerie et à découvrir petit à petit ce qui va alors se donner à comprendre et à vivre comme un rébus, un jeu de piste, et au final un vrai cheminement. Ces bâtons s’intitulent d’ailleurs The Hidden Messages (Les messages cachés) : tout un programme qui commence par le premier des huit Metal Men ou Metal Women avec lesquels le visiteur est incité à dialoguer ; autant d’étapes, et même de stations, puisque ces figures nous suggèrent de prendre la même position qu’elles. L’une, The Parle Ment sitting Woman reading a letter, invite à s’asseoir à côté d’elle sur une estrade ; l’autre, The Parle Ment Metal Man offering drinks, à boire un thé ; une troisième, The Parle Ment Metal Man lying down next to you, à s’allonger pour regarder la verrière et, au passage, apprécier la belle lumière qu’elle génère, etc.
Ces personnages filiformes, sculptés en métal, comme un dessin, une écriture dans l’espace, et dotés d’un écran vidéo à la place de la tête sur lequel défilent des mots, des phrases, des expressions, ont tous une activité. L’un accoudé nous accueille, tel autre agenouillé au pied de l’estrade avec un « miroir stick » indique la marche à suivre pour voir par en dessous ou derrière, comme une suggestion des différents niveaux de lecture qu’offrent non seulement chaque œuvre mais également leur conjonction. Un bel exemple de ce principe du feuilleté est donné avec l’une des cinq très belles tapisseries accrochées aux murs. Intitulée de façon pour le moins explicite Looking at you looking at us, elle représente au premier plan des corps peints en chair et en rose, en référence semble-t-il à la célèbre histoire de « Suzanne et les vieillards ». Le second plan est animé par un jet d’eau projeté par une vidéo. Enfin l’arrière-plan montre Laure Prouvost nue, en pied, en train d’uriner comme un homme puisque le jet d’eau précité part de son entrejambe, ce qui n’est pas sans rappeler le Manneken-Pis bruxellois ou L’Homme de Bessines de Fabrice Hyber (autre artiste de la galerie). Le rose chair, on le retrouve avec ce corps allongé, accoudé alangui (à nouveau celui de Laure Prouvost) évoqué dans une autre tapisserie, Waiting For You, et en partie masqué par une plante verte. Des plantes vertes, il y en a plusieurs dans une œuvre au titre évocateur de Depressed Plants, car emprisonnées dans leurs pots. Ainsi, toutes les œuvres de l’exposition se répondent, créent des échos, jouent souvent sur l’humour et renvoient aux préoccupations et pratiques habituelles de l’artiste, à l’image de ces écrans vidéo qui rappellent ses fameux « signs », ses panneaux de bois sur lesquels elle peint à la main des phrases en lettres blanches sur fond noir en jouant avec les mots, le langage et les décalages liés à la difficulté de la compréhension d’une langue. Et de la même manière qu’on parle en littérature de « mots-valises » ou de « mots-tiroirs », on a ici à faire à des images-valises ou tiroirs. En miroirs aussi.
Compris entre 10 000 euros pour une plante avec son « sign » et 30 000 pour les plus grandes tapisseries, les prix ne sont pas excessifs pour une artiste qui, malgré son assez jeune âge (elle est née en 1978 à Croix-Lille en France et vit aujourd’hui entre Anvers et Londres), est aujourd’hui une artiste reconnue, lauréate en particulier du prestigieux Turner Prize en 2013. Elle est également présente dans de nombreuses collections publiques comme privées et bénéficiera d’une exposition au Palais de Tokyo en juin 2018.
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Laure Prouvost, le plein des sens
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°490 du 1 décembre 2017, avec le titre suivant : Laure Prouvost, le plein des sens