PARIS
Le lieu de travail des créateurs livre une partie de ses secrets au Petit Palais, au travers de près de 500 photographies datées du XIXe siècle à nos jours.
PARIS - L’exposition « Dans l’atelier. L’artiste photographié d’Ingres à Jeff Koons », au Petit Palais, représente la plus importante en termes de coûts pour la Ville de Paris dans la programmation photo de l’année 2106 : 340 000 euros sont destinés à la production et 100 000 euros à la communication, soit un budget total de 450 000 euros financé à hauteur de 235 000 euros par le mécénat.
Le projet, lancé il y a cinq ans par Delphine Desvaux, directrice des Collections Roger-Viollet, et qui porte sur les artistes dans leur lieu de création, a pris de l’ampleur dès lors qu’elle a réussi à y associer d’autres collections de la Ville. Christophe Leribault, directeur du Petit Palais, l’a invitée ainsi à le présenter dans ses murs, à condition, précise-t-elle, d’« élargir les recherches des artistes photographiés dans leur ateliers aux autres collections françaises ». Résultat : la collaboration menée de concert avec le Musée Carnavalet et le Petit Palais donne lieu à une exposition exceptionnelle où, de bout en bout, le visiteur est happé par le vertigineux, dense et merveilleux corpus de 457 photographies couvrant l’histoire du médium.
Dès l’entrée, on est marqué par les panoramiques en couleur de Gautier Deblonde réalisés dans les ateliers d’Anish Kapoor, de Pierre Soulages, Miquel Barceló, Jeff Koons, Ron Mueck et Ellsworth Kelly, prêts de la galerie Cédric Bacqueville et du photographe. Suivent de tout aussi impressionnants panoramiques anonymes noir et blanc de l’atelier de Mariano Fortuny photographié vers 1870 à Rome, prêts exceptionnels de la Bibliothèque nationale de France. Citons aussi, pour la section XIXe, le daguerréotype Intérieur de l’atelier d’Ingres par Désiré François Millet (vers 1851, Musée Ingres, Montauban) ; les tirages sur papier albuminé d’Henri Rupp montrant différents modèles masculins posant dans l’atelier de Gustave Moreau (1890-1891, Musée Gustave-Moreau) ; les négatifs au gélatino-bromure d’argent de Robert Demachy figurant des modèles féminins (1912, Société française de photographie), et le tirage sur papier albuminé d’Étienne Carjat où l'on voit Courbet peignant L’Hallali du cerf (acquisition du Petit Palais en 2015).
À ce corpus d’exception est associé un travail scientifique inédit sur l’évolution du positionnement du photographe vis-à-vis de l’atelier d’artiste et de l’artiste lui-même. Au-delà de la retranscription de l’intime du lieu de la gestation, du doute et de la création, et du portrait de l’artiste dans l’atelier, c’est avant tout une histoire de la photographie qui se raconte sur les cimaises comme dans le catalogue, particulièrement soigné.
Ce qui se passe entre le photographe et l’artiste dans son atelier emprunte des cheminements intellectuels qui se recoupent d’un siècle à l’autre, et s'alimentent du souci de documenter, promouvoir ou traduire le plus justement la personnalité de l’artiste. La démarche de Gautier Deblonde, qui consiste dans l'une de ses séries, à photographier les ateliers des stars de l’art contemporain, toujours selon le même protocole, l’artiste saisi à midi et seul dans les lieux, ou La Vue d’atelier, avec une chaise de Laura Lamiel (1943), résonnent avec l'œuvre d’Hippolyte Bayard. Ce dernier photographiait vers 1840-1849 les objets qui peuplaient son atelier aux allures de grenier, symboles de la situation du photographe incompris. Dans ces natures mortes, ce qui se dit ou se joue forme en soi des documents autant que des abîmes de fiction, d’interprétation et de méditation fascinants auxquels le photographe donne corps, à la suite de l’artiste.
Commissariat : Delphine Desveaux, directrice des Collections Roger-Viollet ; Susana Gállego Cuesta, conservatrice de la collection photographique du Petit Palais ; Françoise Reynaud, conservatrice en charge des collections photographiques du Musée Carnavalet
Nombre d’œuvres : 457
Jusqu’au 17 juillet, Petit Palais, Musée des beaux-arts de la Ville de Paris, avenue Winston-Churchill, 75008 Paris, tél. 01 53 43 40 00, tlj sauf mardi, 10h-18h, le vendredi jusqu’à 21h, entrée 10 €. Catalogue, éditions Paris Musées, 304 p., 49,99 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°457 du 13 mai 2016, avec le titre suivant : L’atelier d’artiste révélé