PARIS
La Philharmonie célèbre le centenaire de la naissance du compositeur par une exposition mêlant musique, architecture et mathématiques, autant de centres d’intérêt d’un artiste pluridisciplinaire.
Paris. Les expositions qui mettent en scène un écrivain, un musicien ou un architecte n’ont jamais la tâche facile, tant le poids des documents peut être écrasant. Si, celle consacrée à Iannis Xenakis (1922-2001) est une réussite, c’est grâce à la capacité du compositeur de traduire sa musique par des moyens graphiques : de rendre l’audible visible.
Polyvalent, Xenakis a une formation scientifique et technique, mais possède également des connaissances dans le domaine des arts plastiques. Sa collaboration avec Le Corbusier présente pour lui l’occasion rêvée d’expérimenter un nouveau rapport entre la musique et l’espace. C’est pour le pavillon Philips de l’Exposition universelle de Bruxelles en 1958 qu’il aura l’audace d’imaginer une forme révolutionnaire en architecture : celle d’un paraboloïde hyperbolique [voir ill.]. Certes, cette structure géométrique complexe, dont la caractéristique principale est de ne pas posséder de centre de symétrie, a déjà inspiré d’autres architectes comme Antoni Gaudi. Toutefois, pour Xenakis, c’est surtout une manière d’obtenir une acoustique enveloppante : 325 haut-parleurs pour écouter son œuvre Concret PH et le Poème électronique d’Edgar Varèse. Une belle maquette du pavillon et des photographies d’époque participent de l’effort des organisateurs – Thierry Maniguet, conservateur au Musée de la musique et Mâkhi Xenakis, la fille du compositeur – pour immerger le spectateur dans cet univers étonnant.
Pour ce faire, la scénographie de Jean-Michel Wilmotte propose « un court-circuit de son et de lumière, un plafond est nappé de lampes flashs ». Des dessins apparaissent sur les murs de l’immense salle plongée dans le noir quand le son de La Légende d’Eer de Xenakis (1977) remplit tout l’espace de l’exposition. Pour autant, le parcours n’oublie pas des aspects plus intimes de l’homme, illustrés ici par des documents réunis par sa fille, et qui montrent son engagement aux côtés du peuple grec.
Ailleurs, le visiteur peut admirer les fascinantes partitions où Xenakis pratique l’« alliage », cette méthode qui consiste à transposer les apports mathématiques dans le champ musical. Ainsi, sur de grandes feuilles, des signes parfois mystérieux se déploient comme des constellations, suggérant les alliances entre les différentes sonorités qui se suivent ou se chevauchent. Sont aussi évoqués quelques événements qui ont marqué cette carrière impressionnante – l’installation multimédia Polytope de Montréal dans le pavillon français de l’Exposition universelle de 1967 ou son Diatope installé sur l’esplanade de Beaubourg (1978), structure architecturale autonome conçue pour l’inauguration du Centre Pompidou.
Cerise sur le gâteau, l’exposition se prolonge dans le magnifique Musée de la musique, avec des œuvres de plasticiens qui ont participé au mouvement cinétique – Carlos Cruz-Diez, Jesus-Rafael Soto, François Morellet ou encore, plus jeune, Elias Crespin. L’œuvre de ce dernier Plano flexionante (2022), réalisée avec trente-deux tubes métalliques suspendus à des fils animés par des moteurs, est un ensemble d’oscillations délicates, de va-et-vient, de battements silencieux, subtils et impalpables. « Je fais des compositions d’une musique qu’on entend avec les yeux », affirme l’artiste. Xenakis n’aurait pas renié cette formule poétique.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°584 du 4 mars 2022, avec le titre suivant : L’architecture musicale de Iannis Xenakis