Étiqueté symboliste, le peintre échappe en fait à toute classification. Sans ambition métaphysique, son art exprimait un panthéisme atemporel, une ataraxie bienheureuse.
Lodève (Hérault). Reçu à la fin de février 1888 à l’École des beaux-arts de Paris, Jean-Francis Auburtin (1866-1930) a certainement visité, à l’été 1889, l’exposition « Monet-Rodin » de la galerie Georges Petit. Le sculpteur devait devenir un ami et le peintre impressionniste un inspirateur. Auburtin partit en Provence en 1891, là où Claude Monet avait réalisé de magnifiques paysages en 1888. Et, en 1894, il était à Belle-Île, de nouveau sur les pas du maître. C’est ainsi qu’il devint un paysagiste reconnu, appliquant les leçons de lumière de Monet à une peinture mate qui n’adoptait jamais la touche impressionniste.
Méditerranée, Bretagne, Normandie, Pyrénées : le peintre se fit randonneur pour parcourir les chemins les plus escarpés, sa boîte de peinture en bandoulière. Toute la première partie de l’exposition d’une centaine d’œuvres, sous le commissariat d’Ivonne Papin-Drastik, est consacrée aux paysages nés de ces excursions. Sur la toile ou sur le papier, un trait noir cerne les masses, sans qu’on puisse pour autant parler de cloisonnisme, car les couleurs ne sont pas en aplat. Le cerne noir vient de l’estampe japonaise qu’Auburtin a découverte lors de l’exposition organisée en 1890 par le marchand Siegfried Bing à l’École des beaux-arts. Il deviendra membre des Amis de l’art japonais et illustrera plusieurs fois l’invitation à leur dîner annuel.
Seuls les voiliers, sur la mer, laissent deviner la présence humaine dans cette nature paisible – c’est à peine si, à Belle-Île, l’océan est agité autour des aiguilles de Port-Coton. Mais, dès 1892, apparaissent dans les marines les baigneuses et nymphes qui peuplent la deuxième partie de l’exposition. Dans Le Matin, calanque de Porquerolles (1894), une femme, seulement drapée d’un tissu à partir de la taille, attache ses cheveux. Elle est la sœur presque jumelle du personnage debout de Jeunes Filles au bord de la mer de Pierre Puvis de Chavannes (1879). Moins longilignes, plus sensuelles, Deux Baigneuses aux voiles à Porquerolles (vers 1902) et Trois Grâces à Porquerolles (1902) semblent entamer une ronde. Dans le catalogue, l’historien de l’art Jean-David Jumeau-Lafond rappelle l’importance, à l’époque, de deux danseuses américaines dont l’ambition artistique était de se rapprocher de la nature : Loïe Fuller et Isadora Duncan, qui ont inspiré Auguste Rodin et ont aussi subjugué Auburtin. Ailleurs, une femme joue avec un cygne, d’autres surgissent de l’eau. Ce sont ces nymphes qui ont fait la célébrité du peintre parallèlement aux grands décors, plus anecdotiques. Selon Jean-Pierre Mélot, qui analysait cette iconographie dans le catalogue de l’exposition « Jean-Francis Auburtin. Les variations normandes » (2006), il s’agit probablement d’une inspiration wagnérienne née de la rencontre du peintre avec l’amateur d’art Guillaume Mallet. Quant aux autres déités, nymphes soufflant dans une conque ou se baignant dans une vasque et sirène enlevée par un centaure aquatique, elles ne font pas référence à une mythologie précise : le peintre exprimait à travers elles ce que Jean-David Jumeau-Lafond décrit comme « l’idée d’une nature essentielle et immémoriale ».
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°578 du 26 novembre 2021, avec le titre suivant : L’Arcadie d’Auburtin