L’Adoration des mages et autres découvertes, reçu en legs par le Kunstmuseum de Bâle, vient d’être restauré. Il est exposé au côté d’autres tableaux de l’artiste.
Frans II Francken est l’un des membres les plus illustres et les plus prolifiques d’une dynastie qui, durant cinq générations, forma l’épine dorsale de la peinture anversoise des XVIe et XVIIe siècles. Après une formation chez son père, il devient franc maître en 1606 et dirige un important atelier avec ses frères et ses fils. Il se spécialise dans des petites œuvres qui traitent de thèmes inspirés de la Bible, de la mythologie ou de l’histoire antique, dans une forme allégorique, souvent burlesque, à travers laquelle il décrit les travers des hommes.
Francken affectionne les scènes aux personnages multiples, en mouvement, où se produisent des événements simultanés. Autour d’une vaste composition centrale, il raconte des petites histoires qui confèrent à ses tableaux une dimension narrative très proche des œuvres de ses contemporains Brueghel le Jeune (1601-1678) et Rubens (1577-1640).
Un goût pour le spectacle, pour les effets de foule
Frans II Francken est un peintre de tableaux de cabinet. Ses toiles sont destinées à des collectionneurs et des amateurs d’art qui apprécient une belle œuvre comprenant de nombreux détails, un vaste vocabulaire iconographique. Il est habile dans l’art de donner vie à plusieurs personnages en variant les costumes, les attitudes et les expressions. Il reproduit avec enthousiasme, et à la perfection, le réel propre à la peinture flamande.
La chronologie de son œuvre suit l’évolution de la couleur et des thèmes traités. De sombre et mystique au début dans ses célèbres scènes de singes et de sorcières, la couleur s’éclaircit pour atteindre cette luminosité que les peintres flamands ont inventée. L’Adoration des mages, de facture puissante, au glacis translucide est caractéristique de sa dernière période.
Dans son ensemble, son œuvre est typique de l’expression baroque dans l’Europe catholique de la fin du XVIe au milieu du XVIIIe siècle, qui vient en contrepoint du dépouillement de la Réforme, avec un goût du spectaculaire, des effets de foule en mouvement, une construction qui permet de frapper les esprits. Le symbolisme religieux s’efface alors au profit de l’anecdotique. L’Adoration des mages est un archétype de ces expressions.
1 - LES MAGES
Le nautilus de Balthazar
Cette majestueuse composition en frise se démarque de l’image traditionnelle de pauvreté liée à la naissance de Jésus. Dans l’Évangile selon saint Luc, Jésus est né dans une étable, entouré de Marie, Joseph, le bœuf et l’âne. La tradition anversoise s’inspire du premier Évangile selon saint Matthieu dont la lecture gomme toute connotation de dénuement. Elle présente Jésus comme un roi, digne successeur de Salomon. Les mages venus d’Orient l’honorent avec des dons précieux dignes du futur roi de la paix.
Malgré le rayonnement central de la Vierge et de l’enfant Jésus, le peintre focalise l’attention sur les mages, en particulier Balthazar dont la très grande taille et l’envergure attirent le regard du spectateur. Vêtu d’habits somptueux, il présente de façon ostentatoire son offrande, un précieux coquillage appelé nautilus. Le mage agenouillé aux pieds de la Vierge a posé au sol son turban couronné et son sceptre qui scintillent. Seul Joseph, debout derrière la Vierge, semble en comparaison bien modestement vêtu. Tous portent des costumes de l’époque du peintre, au mépris de la vérité « historique ».
2 - L’ANECDOTE
Les mages et les pages
Le peintre Frans II Francken est un délicieux conteur, imaginatif et plein d’humour. Alors que la composition principale assied le tableau, les anecdotes périphériques lui donnent son rythme, son mouvement et par conséquent sa légèreté. En bas, à gauche, un petit page a l’air espiègle, il marche tant au bord du tableau qu’il semble le traverser. Il tient dans ses mains deux perroquets destinés vraisemblablement à l’enfant Jésus mais paraît attiré par d’autres jeux. Deux autres pages, plus à droite, sont accroupis au pied d’un roi mage. L’un d’eux tient distraitement sa somptueuse cape pourpre et semble terriblement s’ennuyer. L’autre porte dans ses bras un singe et attend, le corps penché en arrière et la tête tournée vers le groupe, le moment opportun pour présenter son offrande. Leurs yeux comme ceux des autres personnages sont des points noirs dans leurs fins visages.
3 - L’ARRIÈRE-PLAN
Le repos du cortège
Les scènes ébauchées en grisaille autour de la composition principale colorée forment avec le paysage des séquences secondaires dont la réalisation est généralement dévolue à l’atelier. La couleur est présente mais posée sous forme de taches. Alors qu’à gauche des attelages lourdement chargés arrivent encore sur le lieu de la nativité, à l’opposé la grande partie de la caravane est arrivée à destination. Chevaux, dromadaires, cavaliers richement chapeautés et chameliers forment un groupe animé et absorbé. Le voyage a été long. La fatigue se lit sur les visages. Les animaux sont fourbus. Les chevaux ont soif.
Animaux et personnages sont peints avec une expression et une compréhension stupéfiantes. Un dromadaire semble regarder avec un étonnement amusé l’affairement autour de lui tandis que son chamelier, surpris dans son travail, dirige un regard sombre vers le spectateur. La scène est retracée comme un instant de vie que le pinceau du peintre a suspendu. Son esthétique moins léchée propose un langage plus simple, plus immédiat que la composition principale.
4 - L’ALLÉGORIE
Les pélicans et le mystérieux papillon
À divers endroits, le peintre émaille son tableau de symboles liés à la nativité : les pélicans dans le ciel. D’antiques légendes racontent que le pélican, en cas de nécessité, nourrissait ses petits de sa chair et de son sang. À partir du Moyen Âge, la tradition chrétienne utilise le pélican comme symbole eucharistique voyant dans son sang vivificateur l’image du sang rédempteur du Christ.
Ainsi de l’amphisbaena, cet étrange serpent à deux têtes – une à chaque extrémité de son corps – en bas à droite du tableau est un animal mythologique présent dans la médecine médiévale. Le porter autour du cou garantit une maternité sans risque. La présence non décryptée du petit papillon rouge et bleu sur le rebord de terre laisse à ce tableau sa petite part de mystère.
1581
Fils de Frans I, Frans II le Jeune naît à Anvers. Il deviendra le peintre le plus renommé de la famille des Francken.
1607
L’Assemblée de sorcières, au coloris sombre et mystique, est représentative du début de son œuvre.
1614
Devient doyen de la guilde d’Anvers.
1615-1620
Avec l’Allégorie de la Fortune (musée du Louvre), les coloris deviennent riches et chaleureux, les formes élégantes et graciles.
1633
Le Fils prodigue illustre sa maîtrise de la technique du camaïeu.
1642
Décès à Anvers.
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L'Adoration des mages de Frans II Francken
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Abonnez-vous dès 1 €Informations pratiques. « Frans II Francken », jusqu’au 28 février 2010. Kunstmuseum, Bâle. Tous les jours sauf le lundi de 10 h à 17 h. Tarifs : 11 et 4 €. www.kunstmuseumbasel.ch
Le Kunstmuseum organise jusqu’au 28 février une exposition autour de L’Adoration des mages, tableau peint par Frans II Francken en 1632 et légué en 2004 au musée. La récente restauration de cette œuvre très abîmée a révélé sa facture légère et transparente, typique de l’œuvre tardive de cet artiste, représentant le plus connu d’une famille de peintres anversois du début du XVIIe siècle.
La manifestation suisse présente ainsi l’œuvre ressuscitée entourée d’autres œuvres de Frans II Francken, pour la plupart appartenant à des collections privées, et d’artistes anversois contemporains.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°621 du 1 février 2010, avec le titre suivant : L'Adoration des mages de Frans II Francken