CASSEL
Le Musée de Flandre consacre une vaste exposition à une dynastie de peintres flamands aujourd’hui méconnus. Une belle découverte qui révèle les problématiques d’attribution dans le cadre de l’atelier familial.
Cassel. Ils s’appellent Frans I, Ambrosius I, Frans II ou encore Hieronymus III… Ces noms aujourd’hui quelque peu oubliés sont ceux d’une famille de peintres flamands, les Francken, actifs à Anvers entre le XVIe et le XVIIe siècle, auxquels le Musée de Flandre consacre une vaste exposition. Une gageure, puisqu’il s’agit de ne pas perdre le visiteur dans les méandres d’un atelier familial se déployant sur cinq générations.
Contemporains des Brueghel, les Francken sont à la tête d’une véritable petite entreprise familiale. Une pratique de groupe qui brouille aujourd’hui les pistes des historiens de l’art. Aussi, un seul nom est véritablement passé à la postérité : celui de Frans II, artiste génial auquel une belle part de l’exposition est consacrée. « Mais l’idée de cette exposition est aussi de montrer que Frans II Francken n’arrive pas là par hasard. Avant lui, son père et ses oncles vont également avoir de brillantes carrières », explique la commissaire de l’exposition, Cécile Laffon.
Le parcours tente ainsi de redonner à chaque membre de la famille la place qui lui est due. Une scénographie sobre tente le plus clairement possible de dessiner les contours de la production de chacun. Des cartels développés de chaque œuvre aident à comprendre les enjeux de ces corpus méconnus et des identifications complexes.
Ce sont les trois fils (Frans I, Hieronymus I et Ambrosius I) du patriarche Nicolaes qui constituent véritablement la première génération des Francken. Ils sont formés dans leur ville natale d’Herentals par leur père, puis envoyés par ce dernier poursuivre leur formation chez Frans Floris, à Anvers, où la dynastie va prospérer.
Le premier fils, Frans I (1542-1616) – portraituré par nul autre que Pierre Paul Rubens – sera un peintre d’église reconnu et un membre influent de la guilde des peintres. Il réalise ce qui fut l’un des principaux retables de la cathédrale d’Anvers, Le Christ parmi les docteurs. Son cadet, Hieronymus I (1540-1610, voir ill.), sera peintre à la cour de France. Avec leur frère Ambrosius I (1544-1618), qui s’illustre par ailleurs pour son travail de graveur, ils auront tous trois une production de peintres d’église, aux figures massives et couleurs chatoyantes, teintée de l’influence italienne. Formés ensemble, ils travaillent parfois les uns avec les autres et leur filiation est sensible dans leurs œuvres respectives. Mais, malgré la stature de ses représentants, cette génération reste mal connue, comme le rappelle Cécile Laffon : « Aujourd’hui, Frans I, c’est trente-deux œuvres. Hieronymus I, seulement dix. »
À ceux-ci succède la seconde génération, celle des quatre fils de Frans I, pour beaucoup occultés par la seule personnalité de Frans II Francken (1581-1642). Excellent peintre à l’inventivité débordante, formé dans l’atelier familial, pur produit de la scène artistique anversoise qu’il n’a quasiment jamais quittée, c’est cette figure que l’historiographie a retenue, au risque de se voir attribuer des œuvres de ses frères. Dans les années 1980, le catalogue raisonné établi par la spécialiste du peintre, Ursula Härting, répertoriait 477 œuvres ; on lui en attribue aujourd’hui entre 600 et 800. Là encore, les problématiques de la production d’ateliers, du statut d’artisan, de proximité familiale et donc de signatures viennent compliquer les attributions.
Mais force est de constater la qualité des œuvres présentées dans l’exposition qui lui sont attribuées. Sa clientèle est désormais une classe bourgeoise, amatrice de petits tableaux précieux sur plaque de cuivre. Une cimaise accrochée à touche-touche, à la façon d’un cabinet d’amateur, illustre sa production foisonnante et diverse. Scènes mythologiques, religieuses et sujets savants montrent que ce pictor doctusà la production éclectique est lui-même un érudit, inventeur de genres iconographiques tels que les singeries (malheureusement non présentées) et la représentation des cabinets de curiosités.
Le chef-d’œuvre de l’exposition est indéniablement L’Éternel Dilemme de l’homme : le choix entre le vice et la vertu de Frans II [voir ill.], présenté aux côtés de deux étonnantes scènes de sorcellerie. Chacune de ces œuvres, fourmillant de détails savoureux aux accents boschiens, présente des niveaux de lecture complexes et une minutie qui montre son goût pour un travail de miniaturiste. C’est ce même Frans II qui peint un Christ sur la croix dans une composition audacieuse et résolument moderne.
À la tête de l’atelier familial, qui ne compta qu’un seul élève extérieur à la famille, cette figure brillante constitue l’apogée de la dynastie. À sa suite, la production décline et les œuvres de ses fils restent mal identifiées. L’exposition fait le choix de ne pas aller jusqu’au dernier représentant de la famille, Constantyn (1661-1717), peintre de grands formats de batailles.
Le parcours se clôt sur les collaborations extérieures, avec des peintres spécialisés comme les paysagistes Abraham Govaerts ou Joos II de Momper, rappelant aussi combien, malgré l’oubli, les Francken étaient intégrés dans l’écosystème artistique anversois.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°574 du 1 octobre 2021, avec le titre suivant : Les Francken, peintres de père en fils