Les vrais faux-semblants de 50 jpg interrogent la portée documentaire de la photographie.
GENÈVE - Pour sa 4e édition depuis que le Centre de la photographie de Genève en a lancé l’initiative, en 2003, la triennale 50 JPG (ou 50 jours pour la photographie) réunit une trentaine de lieux et d’institutions associées, en Suisse mais aussi en France (à Annemasse, La villa du parc) autour d’un calendrier commun. L’esprit de celui-ci est marqué par un rapport ouvert à l’image-document. L’intérêt contemporain pour le documentaire mérite bien une attention particulière, et le ton est donné par la volonté affirmée depuis une douzaine d’années par la programmation du Centre de la Photo de Genève.
Avec « fALSEfAKES-vraifauxsemblants » aujourd’hui, après « Photo Trafic » en 2006 et « La revanche de l’archive » en 2010, l’institution genevoise prend en compte le dépassement de l’hypothèse historique de la photographie comme preuve, comme discours de vérité sur le monde, et l’ouverture au cours des trente dernières années d’une ère du soupçon à son égard : on connaît le paradoxe du menteur, quand il affirme qu’il dit la vérité… « fALSEfAKES-vraifauxsemblants » explore ce territoire de l’image du faux, de l’ambiguïté et du simulacre tel que des praticiens de l’image, artistes et photographes travaillant aux lisières du documentaire en jouent, en montrant le simulacre et la fiction, en mettant en scène le monde par les codes et usages de la photographie. Aidant utilement à une lecture exigeante du parcours, le parti pris des commissaires, Joerg Bader, directeur du Centre de la photographie et Sébastien Leseigneur, artiste et commissaire associé, prive le visiteur du moindre cartel au profit d’un livret avec notices et d’un plan de repérage, qui laisse le regard sans recours au titre ou autre indication de nom, de date, de circonstance.
Renversement des codes photographiques
Comment l’image fait-elle sens à l’heure du storytelling généralisé et de la nécessaire prudence devant les informations de l’internet ? Que reste-il du rapport à la réalité sociale et humaine d’un Walker Evans, après l’affirmation de l’objectivisme de Bernd et Hilla Becher devenu grammaire formaliste à grand succès chez Thomas Struth ou d’Andreas Gursky, et alors que la mise en scène s’est emparée de l’image chez Cindy Sherman ou Jeff Wall ? En une dizaine de chapitres, les quelque 170 œuvres jouent avec un principe d’incertitude et demandent une lecture attentive, tantôt joueuse, tantôt frisant la mystification, tantôt détournant leur sujet par esthétisation au risque du cynisme, ici en s’ouvrant à la fiction, là démasquant la prégnance du spectacle. Des sources historiques aux productions de tous jeunes artistes, le parcours réunit et juxtapose des démarches, des positions et des générations d’artistes très différentes et parfois peu connus. De nombreux paysages urbains offrent des regards décalés ou frontaux sur les échecs de l’architecture, en l’occurrence à Pierrefitte-sur Seine, avec Gian Paolo Minelli, sur l’absurdité urbanistique, mais aussi George Dupin, Shai Kremer, Beate Gütschow, Christian Schwager et ses bunkers suisses. Le regard sur le détail, parfois forgé comme avec les travaux de Serge Fruehauf qui intervient dans l’espace avant la prise de vue, sert de révélateur de regard. Document véridictoire, fiction plastique ou narrative, la démarche relève souvent de l’enquête archivistique, ainsi pour Marco Poloni & Jürgen Scheiber, ou encore du (vrai ou imaginaire) travail de documentation avec Reynold Reynolds. Enfin, dans la tradition humaniste, le portrait social, au-delà de la seule photographie de rue, prend lui aussi des directions parfois contradictoires. Ainsi un Christian Lutz avec ses images de sans-abri à la dramaturgie presque léchée, un Harald Fernagu faisant jouer à des membres des communautés Emmaüs des reconstitutions de la guerre du Kosovo, pour alors que les photoreporters actifs comme Matthias Bruggmann, Enrique Metinides ou Jean Revillard poussent et dépassent les codes de leur genre. À noter d’ailleurs que le Musée d’art moderne et contemporain de Genève, toujours dans le cadre des 50 jpg, montre le travail de Laurence Bonvin, avec un ensemble convaincant de portraits de rues à Johannesburg, vus en immersion. Le soupçon est finalement une bonne attitude de regard…
Jusqu’au 28 juillet, Centre de la photographie, Genève, programme détailllé sur www.50jpg.ch/.
Commissariat : Joerg Bader et Sébastien Leseigneur commissaire associé
Nombre d’œuvres : 170
Nombre d’artistes : 77
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La photo à l’ère du soupçon
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°394 du 21 juin 2013, avec le titre suivant : La photo à l’ère du soupçon