EYMOUTIERS
Fait de formes graphiques souvent massives, frontales, le vocabulaire de l’artiste se laisse découvrir à l’Espace Paul Rebeyrolle.
Eymoutiers (Haute-Vienne). Né en Bretagne (Lesneven), François Dilasser (1926-2012) pratique la peinture en autodidacte depuis son adolescence. À l’Espace Paul Rebeyrolle, le parcours débute dans les années 1970 avec des œuvres qui revendiquent l’influence de Roger Bissière, découvert par Dilasser dans l’après-guerre. De fait, Paysage (1974), et plus encore l’œuvre Sans titre de la même année, sont composées à partir de hiéroglyphes colorés flottants, à l’instar des notes d’une partition musicale. Puis les toiles s’assombrissent et l’aspect décoratif disparaît. Ainsi Formes sur terre de Sienne naturelle (1976) est faite de deux structures géométriques sobres superposées qui occupent l’essentiel de la surface de la toile. Suivent des œuvres dénuées de tout artifice, « habitées » par des masses octogonales imposantes, dont le spectateur ne peut que soupçonner les volumes (Jardin 1 et Jardin 3, 1989).
Peu loquaces, ces toiles refusent la narration ou l’anecdote, n’entrent pas dans une description minutieuse ou exhaustive du réel. Conscient du peu de pertinence du cloisonnement entre figuratif et abstrait, le peintre s’arrête à une expression graphique et chromatique qui lui semble la mieux susceptible, non pas d’imiter un motif, mais d’en donner l’essentiel. Muets, se repliant sur eux-mêmes, refusant tout « parasitage » psychologique ou métaphorique, ces blocs sombres d’une ténacité têtue sont comme un défi jeté au spectateur. Même quand les formes se font plus légères, à l’instar de nuages, ou morcelées, elles paraissent à l’arrêt (Métamorphose 1, 1993 ; Nuages, 2006-2007 ; Le Grand Voyage, 1990).
Plus identifiables, mais pas plus bavardes, sont les étranges architectures noires, mi-menhirs étirés, mi-tours aux façades aveugles, posées sur un rocher (Les Veilleurs, 1997). D’une frontalité en général marquée, ces constructions sont pétrifiées dans un espace rétréci, resserré, où l’air ne circule pas. Imprimées sur la surface, elles font face au spectateur et l’obligent à les affronter sans possibilité de recul. Des images qui se trouvent, pour ainsi dire en première ligne, sur la peau de la peinture.
D’un silence absolu, toutes ces œuvres ont un point commun : l’absence de personnages. On pourrait croire que l’artiste ressent le besoin d’éliminer toute concurrence humaine, de se trouver seul face aux objets de sa peinture. Soyons plus juste : dans d’autres toiles, des êtres humains font leur entrée. Mais, davantage figures d’anonymat que portraits d’individus, ces figures ne donnent pas lieu à un dialogue avec le spectateur. Schématisées à l’extrême, LesRégentes (1995, [voir illustration]), que François Dilasser traite plusieurs fois, offrent une version contemporaine de l’œuvre éponyme de Frans Hals. Ailleurs, ce sont les Têtes, des visages rougeâtres sans traits, reconnaissables uniquement par leur format ovale. Enfin, un ensemble de mains ou plutôt de poings, séparés du corps, forme un langage des signes secret. Gestes de révolte ou évocation d’une langue de sourds-muets interprétée par Dilasser ?
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°595 du 23 septembre 2022, avec le titre suivant : La peinture silencieuse de François Dilasser