ESSEN / ALLEMAGNE
Après la Première Guerre mondiale, la fracture enregistrée dans le domaine politique, économique et social affecte également la scène artistique avec une crise des mouvements d’avant-garde.
L’idée « d’âge d’or » n’est plus appliquée, les artistes d’Europe se tournent alors vers des approches réalistes. En Italie, une direction artistique combinant une représentation objective à des atmosphères énigmatiques apparaît à travers un courant : le réalisme magique. Ces artistes redécouvrent le potentiel de l’histoire, les cultures anciennes et la grande tradition classique de la Renaissance. Ils expriment non pas un passé historiquement défini, mais un passé mythifié donc éternel, gardien de valeurs anciennes, mystérieuses. Ce courant est l’un des plus originaux mais aussi l’un des plus méconnus du XXe siècle, probablement en raison du contexte fasciste dans lequel il a opéré. Pour la première fois en Allemagne, les interprètes les plus marquants de cette période sont présentés dans le cadre d’une exposition. Quatre-vingts toiles rassemblées par le Musée d’Essen immergent le visiteur dans cette atmosphère très particulière. La première est de Giorgio De Chirico, dont la peinture métaphysique a ouvert la voie au réalisme magique avec Carlo Carra. Gino Severini, Mario Sironi, Giorgio Morandi et Ubaldo Oppi ont produit dans un style lisse et cristallin des scènes de la vie quotidienne suspendues dans un silence magique ou plongées dans une troublante solitude. On s’arrête devant les toiles du maître du réalisme magique, Felice Casorati, qui a fait du silence et de la distanciation les caractéristiques de sa peinture. Chez Casorati, la référence aux maîtres anciens est convoquée par des constructions simplifiées, dominées par des perspectives rigoureuses et profondes. Cette appropriation des formes et des sources anciennes mais présentées dans un langage résolument moderne trouve son apogée dans le tableau de Silvana Cenni, une hiératique vierge contemporaine qui incarne un hommage évident à la leçon de Piero della Francesca. Voilà un parcours linéaire à travers une peinture pleine de silence, de stupeur mais aussi de charme.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°717 du 1 novembre 2018, avec le titre suivant : La magie du silence…