Art ancien

La Maestà de Cimabue

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 19 février 2025 - 1086 mots

Jusqu’au 12 mai, l’exposition « Revoir Cimabue. Aux origines de la peinture italienne » du Musée du Louvre invite à redécouvrir la Maestà, chef-d’œuvre du XIIIe siècle de Cimabue, qualifié d’acte de naissance de la peinture occidentale par des historiens de l’art.

Cenni di Pepe, dit Cimabue, La Vierge et l'Enfant en majesté entourés de six anges (Maestà), 427 x 280 cm, 1280-1290, tempera sur fond d'or sur bois, Musée du Louvre © C2RMF / Thomas Clot
Cenni di Pepe, dit Cimabue, La Vierge et l'Enfant en majesté entourés de six anges (Maestà), 427 x 280 cm, 1280-1290, tempera sur fond d'or sur bois, Musée du Louvre.
© C2RMF / Thomas Clot, 2024

Longtemps, la Maestà de Cimabue (1240-1302) fut considérée comme une œuvre sombre et austère. Après sa restauration achevée en 2024, ce chef-d’œuvre admiré par Pierre Soulages révèle l’éclat et la vivacité de ses couleurs originelles, mais aussi certains détails auparavant masqués par des repeints comme les motifs du drap d’honneur du trône de la Vierge, de petits aigles aux ailes déployées, caractéristiques de certains textiles du XIIIe siècle, d’origine byzantine, islamique ou espagnole. « Cimabue a cherché à représenter un tissu réel, semblable d’ailleurs à une magnifique dalmatique provenant de l’abbaye de Grandmont (Haute-Vienne), présentée dans l’exposition », explique Thomas Bohl, conservateur du département des Peintures du Musée du Louvre et commissaire de cette exposition autour de la Maestà et de La Dérision du Christ, œuvre de Cimabue récemment acquise par le musée. Un tissu réel, vraiment ? En effet. La volonté de figurer avec précision le monde réel et d’insuffler la vie à ses personnages en peignant leurs sourcils, modelant leurs joues, ou en articulant leurs mains, témoigne de la quête d’illusionnisme, dans les années 1280, de cet artiste visionnaire qui fut le maître de Giotto et dont seul une quinzaine d’œuvres nous sont parvenues. La Maestà, qui ouvre le parcours des peintures italiennes du Louvre, est considérée comme l’acte de naissance de la peinture occidentale par cette quête du naturalisme. Réalisée pour l’église San Francesco, à Pise, elle fut transportée en 1810 au Camposanto, cimetière historique de Pise, pour être exposée dans la chapelle Dal Pozzo, où étaient réunies les œuvres les plus importantes du patrimoine pisan. C’est là qu’elle attira l’attention de Dominique Vivant Denon (1747-1825), qui cherche alors à enrichir les collections du Musée du Louvre sur les terres conquises par Napoléon. Transférée au Louvre, elle est présentée en 1814 dans l’exposition des peintures des « écoles primitives » organisée par Denon. L’année suivante, les commissaires italiens venus à Paris pour rapatrier un certain nombre d’œuvres ne se montrent pas intéressés par la peinture qui reste donc, avec leur accord, au Louvre.

Une main de chair

Une main, une vraie… De subtils dégradés de couleurs suggèrent le volume. La lumière révèle par une touche de blanc le haut des articulations. Et pour parfaire la cassure du poignet, Cimabue change le sens du pinceau et peint de petits traits horizontaux dans une autre direction. Avec un naturalisme étonnant, cet artiste visionnaire dont on ne sait presque rien a réussi à rendre compte de la pression de la main de l’enfant Jésus sur le rouleau qu’il tient. Pour la première fois, le corps n’est pas représenté par des formes géométriques conventionnelles. De fins sourcils ont été peints au-dessus des yeux des personnages. Les lèvres sont charnues, les joues subtilement rosées. Au niveau de la jambe de l’enfant, Cimabue a même représenté avec quelques coups de pinceaux une chemisette blanche presque transparente. Celle-ci fait sentir la finesse du textile et révèle autant qu’elle dissimule le mollet de l’enfant. Par ailleurs, dans un souci illusionniste, les plis des vêtements des personnages épousent les lignes de leur corps et leurs gestes.

La texture des tissus

Quelle finesse dans le riche costume de cet ange ! Pour représenter sa délicate tunique rose, sur laquelle a été cousue une étole brodée d’or, Cimabue a appliqué une feuille d’or à la mixtion, pour représenter chaque fibre du textile. De plus, ce tissu évoquant le « loros », sorte d’écharpe portée par les empereurs byzantins dont elle symbolise le pouvoir, n’est pas peint sur un espace laissé en réserve, mais sur la tunique : sa couleur rose et son drapé apparaissent sous la couleur ocre, presque transparente. On distingue même, sur le dessus du vêtement, de petits fils de couture, montrant que les deux éléments ont été cousus l’un sur l’autre ! « Cimabue ne se contente pas de représenter l’idée d’un loros. Il s’attache à montrer la réalité matérielle des textiles », souligne Thomas Bohl, commissaire de l’exposition.

Des couleurs éclatantes

En voilà des cheveux ébouriffés : ils sont le signe de la grande liberté de Cimabue. Elle se retrouve également dans son usage des couleurs. Ce pionnier de la Renaissance italienne aime varier les couleurs, les associer de façon originale, réaliser des dégradés. Alors qu’on a longtemps tenu Cimabue pour un peintre de la manière sombre, austère et dramatique, le nettoyage de la Maestà a permis de retrouver la richesse et la vivacité de ses rouges étincelants, ses bleus profonds, ses dégradés de rose, de vert, de bleu… Les médaillons de l’encadrement, qui figurent anges et personnages saints, en témoignent. Celui-ci, où apparaît saint André allie par exemple le rose, le pourpre, le bleu lapis-lazuli. Ce riche pigment, le plus cher au XIIIe siècle, obtenu à partir de pierres précieuses importées d’Afghanistan, puis broyées en poudre, est le seul employé par Cimabue dans la Maestà pour le bleu, mais aussi en mélange pour les tons violacés ou les gris bleutés des tuniques des anges.

Calligraphe et orfèvre

Des inscriptions et des signes arabisants ornent la partie supérieure du drap d’honneur suspendu sur le trône. Et pour représenter ces caractères inspirés de textiles ou d’objets orientaux, dont la présence est attestée en Italie au XIIIe siècle, Cimabue ne se contente pas de peindre de simples caractères noirs. Il « emploie un mélange de couleurs très en pâte, une matière presque marbrée, comme pour suggérer le relief de ces motifs se détachant sur le textile », décrit Thomas Bohl dans le catalogue de l’exposition. Par ailleurs, sur les nimbes de la Vierge, mais aussi des apôtres et des anges des médaillons, figurent d’autres inscriptions, cette fois poinçonnées. Un véritable travail d’orfèvre, témoignant du soin extrême de l’artiste dans l’exécution de l’œuvre, aux détails si peu perceptibles : « La Maestà est haute de 3 mètres, et était accrochée dans la nef à 10 mètres du sol », indique Thomas Bohl. Mais l’œuvre doit être la plus parfaite possible, parce qu’elle représente la perfection du monde divin.

 

Vers 1240
Naît à Florence
1272
Peint à Florence, le crucifix de Santa Croce, où le Christ est figuré pour la première fois dans un corps d’homme
Début des années 1280
Peint la « Maestà, » aujourd’hui conservée au Louvre
Vers 1280
Peint « La Dérision du Christ »(dit aussi« Le Christ moqué »)
1288-1292
Réalise une série de fresques dans l’église supérieure San Francesco à Assise
Vers 1302
Meurt à Pise
À voir
« Revoir Cimabue. Aux origines de la peinture italienne »,
Musée du Louvre, rue de Rivoli, Paris-1er, jusqu’au 12 mai, www.louvre.fr
À lire
Michel Feuillet, « L’Évangile en Majesté, Jésus et Marie sous le regard de Duccio, »
Mame Éditions, 2019, 39,90 €.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°783 du 1 mars 2025, avec le titre suivant : La Maestà de Cimabue

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