Silhouettes musclées et longilignes, formes généreuses, marques de bronzage, cigarettes et soda à l’arrière-plan… les playmates de Mel Ramos peinent à porter un discours critique.
C'est autour de 1963 que Mel Ramos abandonne la virilité adolescente de Batman et du Captain Midnight pour se concentrer sur la figure féminine. Il y aura sa femme Léta, et des centaines d’esquisses, huiles, portraits, bustes, nus, érotisant sans relâche le corps féminin. D’abord Catwoman et Wonder Woman, héroïnes sur-sexuées et court-vêtues, les reines Pha et Sheena, mi-femmes puissantes, mi-objets sexuels, pour un érotisme rudimentaire et explosif. Entre hommage et remise en jeu de la culture populaire, à l’image des Comics travaillés à la même époque par Warhol ou Lichtenstein. D’un emprunt à l’autre, Ramos se penche bien vite sur le marché de l’imagerie érotique. Archétype de choix : la pin-up, née pendant la guerre, lisse, provocante, consentante, idéale. Une concupiscence convenable et joyeuse.
L’Amérique et avec elle Mel Ramos ne tardent pas à déshabiller les créatures, échauffées par Hugh Hefner, fondateur de Playboy en 1953. Quelque dix ans plus tard, les « miss calendrier » Sally Duberson, Toni Ann Thomas, Maria McBane, y égrainent les saisons sans pudeur. Elles seront les modèles et le répertoire formel du jeune Mel Ramos, pour une peinture qui joue de multiples fonds référentiels : reproduction d’une image qui n’est elle-même que la construction fantasmée de la femme. Beautés californiennes, corps sains et incendiaires, autant de purs produits d’une Amérique qui, tout en libérant sa sexualité, élabore des codes érotiques puritains en diable. Avec une fidélité polissonne, Mel Ramos transfère les lois du genre : sensualisme jovial, silhouettes naturelles et, par-dessus tout, nudité fraîche exhibant fièrement ses marques de bronzage. Ou comment redoubler la rhétorique du désir en surlignant les zones interdites. Le b.a.-ba de l’érotisme.
Un objet de consommation
Dans les années 1960, ses playmates se combinent à des produits standard, cigarettes, sodas ou aliments en tous genres. Isolée sur un fond coloré, nue, un poil gourde, mais toujours lascive, la pin-up de Ramos se planque derrière une bouteille de Coca-Cola ou de ketchup verticale et surdimensionnée, chevauche élégamment un cigare géant, se glisse blonde et souriante dans le graphisme d’un paquet de Lucky Strike, surgit d’une banane Chiquita ou d’une barre de Milky Way. Une partition on ne peut plus explicite, qui renvoie dos à dos deux produits de consommation et pousse le transfert de sex appeal de la femme vers le produit dans ses retranchements les plus absurdes. À quel endroit se poste alors le peintre ? Du côté de la mise à plat du mécanisme, dans la plus pure tradition Pop. « Je fais en sorte que mes peintures ne soient pas trop érotiques et qu’elles contiennent toujours une pointe d’humour », explique-t-il. Juste ce qu’il faut pour que le spectateur jouisse de son voyeurisme tout en le justifiant.
Une faible portée critique
Mais alors que la pin-up a apporté gloire et confort à Mel Ramos, la distance du peintre avec les miss calendrier se fait moins évidente [voir p. 88]. Typographie et codes conso s’éloignent. S’amenuise ce qui relevait le plus clairement d’une attitude pop – dont on était déjà en droit de se demander ce qui relevait de la complicité et de la critique face à une société soumise à l’entertainment et au culte de l’image. « Mes travaux sont très proches du dessin publicitaire, car ils s’écartent de l’intellectualisme et disent directement ce qu’ils ont à dire », précise Mel Ramos, pragmatique.
Dans les années 1960, ne reste pratiquement que l’appétissante playmate. Elle fait désormais partie du dessert, allongée dans un banana split, entre cerise humide et chocolat fondu, ou lovée dans une salade de fruits. Et lorsque Ramos passe à la troisième dimension, la sculpture de résine ne résiste plus à l’autocitation. Difficile de croire encore à une riposte critique.
D’autant que ses représentations féminines ont depuis longtemps perdu leur acuité contemporaine pour surfer sur une plus-value vintage. Aplatir l’image jusqu’à l’abstraction à la façon des hyperréalistes [lire L’œil n° 632] ? Rien n’est moins sûr. Qu’il suffise de regarder la volupté avec laquelle Ramos semble peindre pour s’en convaincre. Surenchérir dans les pas de Warhol sur les vertus de la marchandisation ? À la différence du brillant fossoyeur ou de « l’antiqualité » voulue par Lichtenstein, Ramos semble n’avoir jamais enterré la possibilité d’une peinture héroïque. Et pour cause. Lorsque, en 1972, les figures féminines toutes de réalisme kitsch et précisions anatomiques rejouent des monuments de la peinture – Modigliani, David, Bonnard, Ingres [voir p. 87] –, Ramos a beau chahuter un peu l’histoire de l’art, jouer la carte de l’ironie, embarquer sans trop de conviction le spectateur dans la dialectique usée « haute et basse culture », c’est bien de démonstration de peinture qu’il est question. Pinceaux, huile, grande peinture et virtuosité musclée comprise.
Informations pratiques. « Mel Ramos. Girls, Candies & Comics », jusqu’au 29 mai 2011. Musée Albertina, Vienne. Tous les jours, de 10 h à 18 h. Le mercredi jusqu’à 21 h. Tarifs : de 7 à 9,50 euros. www.albertina.at
Les femmes du Pop Art. Pour les passionnés, l’exposition « POWER UP. Female Pop Art », à la Kunsthalle de Vienne puis à Hambourg, propose une relecture originale du mouvement en redécouvrant les pop-artistes femmes. À cette occasion, les pin-up de Mel Ramos sont acceptées aux côtés des œuvres de Niki de Saint Phalle, Mirasol, Evelyne Axell et Dorothy Lannone. Semblable en bien des aspects à celui de leurs collègues masculins, leur travail s’inspire des images issues de la société de consommation. À une nuance près : d’un féminisme souvent militant, il réfléchit à la place de la femme dans la société. Jusqu’au 8 mars. www.kunsthallewien.at
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La femme épinglée
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°633 du 1 mars 2011, avec le titre suivant : La femme épinglée