PARIS
Dis-moi ce que tu acquiers, je te dirai qui tu es. L’adage pourrait être le fil rouge du parcours que le Musée du quai Branly consacre à l’enrichissement de sa collection depuis sa création, fruit de la rencontre du président Jacques Chirac avec le galeriste et collectionneur Jacques Kerchache.
Le visiteur y pénètre avec des interrogations. Pourquoi acquérir de nouvelles pièces ? Comment les choisir ? Lesquelles refuser ? Au fil des salles, des réponses à ces questions passionnantes se structurent. Depuis 1998, plus de 77 000 items (60 % provenant de dons, 40 % d’achats en vente publique, en galerie ou de gré à gré) ont été acquis par ce musée héritier des collections du Musée national des arts d’Afrique et d’Océanie et du Musée de l’homme. Les coulisses de ces acquisitions, aussi bien que les enjeux éthiques et juridiques, se dévoilent tout au long du parcours. La question brûlante des restitutions est peu évoquée, pour laisser se déployer en filigrane un autre questionnement, celui du rôle du Musée du quai Branly dans l’évolution de notre regard, et la reconnaissance des arts lointains dans une histoire de l’art mondiale. L’exposition s’ouvre sur les objets collectionnés par ces artistes, marchands et amateurs au début du XXe siècle, Apollinaire, Paul Guillaume ou Matisse, qui les premiers les ont reconnus comme des œuvres d’art, pour s’achever sur les chefs-d’œuvre entrés dans les collections depuis 1998. En chemin, on s’émerveille des dessins et des photographies qui témoignent de la rencontre avec peuples et paysages lointains, des séries d’objets, mais aussi des textiles, bijoux et parures. Surtout, on découvre la volonté du musée de documenter ses collections par l’acquisition de bibliothèques de chercheurs, comme celle de Lévi-Strauss, et de montrer avec un regard neuf une production coloniale longtemps restée dans les enfers. Un regard qui se nourrit des œuvres contemporaines, notamment la photographie, auxquelles le Quai Branly a voulu donner une place croissante. S’il a renoncé à prétendre à l’universalité, ce lieu, qui n’est ni un musée ethnographique ni un musée des beaux-arts, a su construire une identité nouvelle.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°728 du 1 novembre 2019, avec le titre suivant : La fabrique du Quai Branly