Pour sa première exposition personnelle en Italie, Annette Messager installe ses troublantes mythologies intimes dans les murs et les jardins de la Villa Médicis.
ROME - Une espiègle messagère fait concurrence au Mercure de Giambologna dominant les jardins classés de la Villa Médicis. Cette Messaggera n’est autre que « La Messager », comme on dit au cinéma « La Magnani ». Lion d’or à la Biennale de Venise en 2005, lauréate du Praemium Imperiale pour la sculpture en 2016, Annette Messager est une icône, à l’égal d’une Louise Bourgeois. Joyeuse et révoltée, mêlant sacré et profane, conçue à la manière dont les enfants jouent, avec le plus grand sérieux, son œuvre est revendiquée par toute une génération – ainsi des Femen – pour sa critique de la condition féminine, sa dimension politique, son affirmation absolue de la liberté. Son irrévérence, aussi. Une radicalité qui affronte avec jubilation tabous et préjugés. L’innocence de l’enfance confrontée à l’âpre réalité, la monstruosité sous le masque d’apparences rassurantes, le côté obscur du merveilleux, une fantaisie empreinte de gravité, la sensation ambiguë de ne savoir si l’on doit rire ou s’indigner, ou les deux à la fois, c’est ce dont il s’agit dans cette commedia dell’arte existentielle. Autant de mythologies intimes à la portée universelle, rassemblées dans cette première rétrospective personnelle en Italie.
Splendeur de la Renaissance, symbole du pouvoir de Ferdinand de Médicis, surplombant les toits et coupoles de la ville éternelle, la Villa Médicis est un écrin d’exception. Le commissariat de l’exposition est assuré par la Romaine Chiara Parisi, revenue dans sa ville natale après avoir orchestré avec brio la programmation de la Monnaie de Paris. Le parcours déploie un choix d’installations majeures de la plasticienne. Cœur et sexe masculin au repos, mots déclinés en tissus, peluches, crayons de couleurs, traversins, construisent un univers onirique, où les batailles de polochons évoquent aussi les prisonniers d’Auschwitz (Histoire des traversins). Ici, des miroirs, des gants, des crayons en croix inversée – symbole diabolique… non loin du Vatican. Là, une nuée d’enluminures décline le thème du doigt pointé – signe d’impolitesse, mais aussi celui de Dieu (Péché 2). Pas très catholique. Ailleurs, un Pinocchio aux crayons de couleur ; dans l’escalier, Eux et nous, nous et eux, plafonnier monumental constitué d’un carnaval de soixante-dix animaux naturalisés, aussi ludique qu’inquiétant. Pour l’artiste, à chacun d’interpréter. « Je n’ai aucun discours. Je préfère laisser chacun libre de se raconter son histoire par rapport à sa vie, sa mémoire. Je suis un messager sans message. »
Œuvres in situ
Plusieurs œuvres ont été créées pour l’occasion : la fontaine de la Loggia, envahie de serpents, clin d’œil aux statues classiques – cette fois avec des jouets en plastique entrelacés ; des animaux, sculptés dans les haies ; dans l’atelier del Bosco de Balthus, au fond du jardin, une Joconde, marionnette tenue par des fils imaginaires, fixée au mur avec ce slogan « Balthutérus », répété à l’envi. « Le mur en face est recouvert d’un papier peint, où fleurissent les dessins de mon utérus, explique l’artiste. N’oublions pas que l’hystérie dérive du mot utérus. Je l’ai fait en réponse à Balthus. » Le spectre de l’ancien directeur hante toujours les lieux. Pour Annette Messager, la Villa Médicis est chargée de souvenirs : « J’ai été invitée à y séjourner l’été 1969. Je me souviens avoir vu ici, sur une petite télévision, Armstrong marcher sur la lune. C’était vraiment le vieux monde et le futur. A Rome, j’allais souvent aux puces. On trouvait des Christ en bois volés dans les églises, des ex-voto. » Et d’ajouter : « Pour exposer à la Villa Médicis, il faut s’approprier le lieu, tuer tous ces fantômes illustres. À commencer par Balthus! Il se faisait appeler Monsieur le Comte, toujours dans sa sublime robe de chambre, et se déplaçait en patins à roulettes. Il était chez lui à la Villa, où il organisait des fêtes formidables avec ses amis, dont Fellini. » Avec Messager, la fête continue.
L’exposition inaugure un cycle d’art contemporain à la Villa Médicis, intitulé Une, consacré à des femmes artistes. Lui succéderont en mai Yoko Ono et Claire Tabouret, Camille Claudel dialoguera avec Elisabeth Peyton en octobre, avant une exposition personnelle de Tatiana Trouvé, début 2018.
La villa Médicis, Rome © Photo Jean-Pierre Dalbéra - 2011 - Licence CC BY-SA 2.0
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La « Dolce Vita » de Messager
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 23 avril, Villa Médicis, viale Trinità dei Monti, Rome, mardi-dimanche 10h-19h, www.villamedici.it, tél. 39 06 67611, entrée 12 € . Catalogue éd. Electa.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°474 du 3 mars 2017, avec le titre suivant : La « Dolce Vita » de Messager